CHAPITRE 56

« Nous vivons un temps d'épilogue. Le monde que nous aimons est un monde déjà mort. » Xavier Patier. Maintenant je sais. Quand j'étais gosse, haut comme trois pommes J' parlais bien fort pour être un homme J' disais je sais, je sais, je sais... Vers 25 ans, j' savais tout L'amour, les roses, la vie, les sous Tiens oui l'amour, j'en avais fait tout le tour... Tout ma jeunesse, j'ai voulu dire je sais Seulement, plus je cherchais Et puis moins j' savais. Y' a 60 coups qui ont sonné à l'horloge J' suis encore à ma fenêtre, je regarde et j' m'interroge. Maintenant je sais, je sais qu'on ne sait jamais. Harry Philip Green/Jean-Loup Dabadie. « L’espace où se déploie la vie n’a pas de réalité intrinsèque. La relation de l’ici et de l’ailleurs n’a pas de sens en soi, elle est fondée par l’irréversible entre l’avant et l’après. Le lieu où nous nous situons n’est qu’un lieu parmi d’autres, et le vrai lieu de notre vie c’est ce maintenant que nous sommes… Le temps n’est pas l’essence du tragique, il est l’omnipotente fatalité. » Jacques Bonnaval. « Il faudrait essayer d'être heureux. Ne serait-ce que pour donner l'exemple. » Jacques Prévert. Je ne sais pas. Je ne sais pas pourquoi la pluie Quitte là-haut ses oripeaux Que sont les lourds nuages gris Pour se coucher sur nos coteaux Je ne sais pas pourquoi le vent S'amuse dans les matins clairs A colporter les rires d'enfants Carillons frêles de l'hiver Je ne sais rien de tout cela Mais je sais que je t'aime encor... Je ne sais pas à quelle heure part Ce triste train pour Amsterdam Q' un couple doit prendre ce soir Un couple dont tu es la femme Et je ne sais pas pour quel port Part d'Amsterdam ce grand navire Qui brise mon cœur et mon corps Notre amour et mon avenir Je ne sais rien de tout cela Mais je sais que je t'aime encor Mais je sais que je t'aime encor. Jacques Brel. « Les non-choix sont-ils à jamais les choix les plus irrémédiables ? Les choix sont-ils autre chose que l’acceptation de s’égarer en l’irréversible ? La vie n’est pas seulement le cortège d’éphémère, elle est la succession des carrefours où l’aléatoire définitivement s’impose… Le non-sens s’estompe pour que s’impose le contre-sens ; à ne pouvoir atteindre ce qui n’existe nous n’avons plus pour toute certitude que l’ineffable mélancolie. » Jacques Bonnaval. CHAPITRE CINQUANTE SIX. Aujourd'hui 16 heures. Il a bu un café, puis deux, et puis trois avec un verre d'eau. Il a tout lu, d'une traite. Enfin, presque. Une pensée de Voltaire lui a traversé l'esprit « On passe sa vie à espérer, et on meurt en espérant ». A travers les mots de l'oncle Christian il a redécouvert son oncle Alain, autrement que durant ces rares repas de famille. « C'est vrai qu'il a toujours l'air heureux... » Il a découvert, avec infiniment de tendresse, cette jeune fille autrefois en surpoids et tout le reste. « Justement, tout le reste. C'est quoi cette histoire d'enterrement ? Personne ne m'en a jamais parlé. Que dois-je faire ? Et ma demi-sœur dans tout ça ? ». Sa mère avait raison quand elle soulignait des relations extrêmement insécurisantes. Mais quand ces dernières se sont-elles arrêtées ? Il était un peu plus de seize heures et puis... comme un pressentiment. Il a payé son dû et il est reparti d'où il venait. Ces quatre-cinq kilomètres lui ont paru sans fin. Il s'est refusé de penser. Il a garé sa voiture près de la Mairie, à la même place. Il a sonné mais tout semblait sans vie, la rue, le village...Seuls des enfants rejoignaient l'école. Ils étaient là, deux par deux, main dans la main et le professeur à leurs côtés. Étonnement, il avait, comme à une certaine période, une grande blouse avec sa poche remplie de stylos divers. Il a attendu un instant. Il a attendu un autre instant, plus long. Il ne sait plus combien de temps au juste. Puis il a rejoint la porte d'à côté. Il avait pris le soin de ne pas la refermer totalement. Il a poussé. Il a dit « Il y a quelqu'un ? Je suis le fils de Joëlle ». Seule sa voix troublait ce silence. L'endroit était très mal éclairé, seul un rayon de lumière parvenait jusqu'à lui. Une petite lucarne de toit en était la cause. « J'étais dans ce que je qualifierais un sas avec comme seule échappatoire ces escaliers ou alors, face à moi une porte d'entrée qui refusait de s'ouvrir ». Il a tourné son regard en direction des escaliers. Les premières marches ne semblaient pas vraiment sécurisantes. Qu’importe, sans réfléchir, il est monté. Arrivé presque à mi-hauteur, il a vu deux enveloppes beaucoup plus petites. On ne pouvait les deviner sans prendre un minimum de hauteur. Un format standard. Il a hésité. Ces dernières étaient bien refermées. Il a attrapé ces deux enveloppes et il a, en même temps, relevé la tête. D'où il était, un nouvel horizon se présentait à lui, un autre angle de vue. Face à lui il y avait un homme...En réalité c'est un miroir qui permettait de l'apercevoir. Et puis une corde attachée à une poutre. Il a eu du mal à reconnaître son oncle. Les rares photos que sa mère lui avait montrées ne correspondaient pas vraiment à cet homme. On aurait dit, que pour lui, le temps s'était comme accéléré. Il semblait plus âgé que son frère ou même sa mère. Il avait l'impression d'une lutte, un corps à corps perdu, à la recherche d'un autre temps. Il se souvint d’une phrase dite par cet oncle et que David lui avait livré « Il n'est pas déshonorant de mourir en poursuivant un but, même futile ; ce qui l'est, c'est de se laisser vaincre et d'accepter sa défaite » C'était signé Alexandra David Néel. Il retrouve son temps et par la même occasion sa voiture. Sur le siège côté passager les deux enveloppes rejoignent, en quelque sorte, leur grande sœur. Il va pour démarrer... ...Mais son esprit n'est pas du voyage... ...Son esprit est ailleurs. Sa pensée file, Il ne sait comment la freiner. « Je me dis que je dois rentrer. En même temps je me dis que je dois réfléchir. Que faire ? ». Il repense au texte qu'il vient de lire. Il a la sensation que sa mère, surtout vers la fin, et Angélique, là c'est presque tout le temps, n'ont pas vraiment le beau rôle. Pour son oncle Alain c'est différent. Plus que de l'amitié, il pense davantage à un véritable message d'amour. Idriss oubliait de parler de sa propre évocation au sein de ce texte. Il avait tout lu, enfin presque. Dans la réalité il avait fait quelques impasses, un peu comme il l'avait fait pour l'obtention de son CAP, il est vrai que ce texte se voulait plutôt conséquent. Pourtant il n'était pas passé à côté de lui-même, c'était en bas de page, dans les derniers feuillets. Il avait été très étonné de se voir ainsi posé sur le papier avec cette question qui revenait sans cesse « Mais où est Idriss ? ». Il avait trouvé ceci plein de bienveillance. Et c'était vrai, qu'à cet instant précis de l'histoire, il n'était pas heureux... Bien sûr son évocation avait été fort courte contrairement à sa mère ou sa demi-sœur mais il se souvenait très bien du contexte. Cet homme qu'il n'avait pas connu, sauf une fois ou deux dans sa prime jeunesse, s'était interrogé quant à son avenir. Ceci l'avait vraiment touché. Pourtant Idriss continuait à se questionner. Devait-il leur montrer ceci ? Et si ce texte disparaissait ? Personne n'en serait rien. A part lui, bien sûr. Cette fête programmée pour demain ne demanderait-elle pas de s'adapter ? En d'autres termes doit-il dire la vérité ? Il pourrait très bien dire qu'il ne l'a pas trouvé, qu'il l'a attendu un long moment mais que personne n'est venue. Il racontera ce village désert, presque fantôme. Un jour, plus tard, on saura. Ne dit-on pas que le show doit continuer ? Et le show là, en l'occurrence c'est la fête. C'est cet anniversaire que sa mère attend tant. Les autres aussi ! Il ne sait que faire. Dire la vérité au risque d'annuler la fête ou attendre, quitte à y retourner plus tard et cette fois ci dire la vérité ? En attendant il n'a toujours pas mis la clef de contact ; elles sont là, sur le siège, côté passager avec les enveloppes. Les enveloppes ? Ben oui, outre l'enveloppe grand format ils restent toujours celles d'un format standard. Il les avait oubliées. Il met la clef pour démarrer mais il laisse la clef en position off. « C'est quoi ces deux enveloppes ? » Il en attrape une. Contrairement à la première enveloppe, format XXL, elles semblent comme scellées. Il prend la deuxième, le résultat est similaire. « J'ouvre ou pas ? ». Il palpe les deux enveloppes. On dirait qu'elles possèdent le même contenu. Même épaisseur, on dirait deux tas de feuilles comme si elles provenaient d'un petit carnet, style format de poche. Il décide de les incliner devant ses yeux, la lumière fera le reste. En réalité ce sont deux liasses que l'on retrouve à l'intérieur de chacune des deux enveloppes. Il regarde de plus près et il voit s'afficher le chiffre Cinquante, la couleur ne laisse aucun doute, l'orange. « Putain, ça fait du pognon ! » Il dirait qu'à vue de nez chaque enveloppe doit contenir entre sept, peut-être dix mille Euro. Oui, ça fait une belle somme. Que doit-il faire maintenant ? « Je suis resté longtemps dans ma voiture avec le silence comme fidèle compagnon. Et puis j'ai tourné la clef... ...En quittant le village je me suis dit que j'avais le temps du retour pour prendre une décision ». En passant devant le panneau de sortie du village Idriss garde toutes ses interrogations. Il ne fait pas plus de quatre ou cinq kilomètres quand il traverse un premier village avec cette place et sa fontaine, ces quelques commerces et ce bistrot qu'il reconnaît. Puis, passé quelques kilomètres, ces vastes champs de cultures céréalières avant de retrouver près de dix kilomètres de descente. Après plus de trente kilomètres où il était seul, ou presque, sur ces routes le voici maintenant au milieu des véhicules. Devant lui deux voitures et derrière, au moins le double. Il sait très bien les rares endroits où il pourrait doubler mais il n'en fait rien. Il reste là, bien à sa place. Il profite de ce train-train à petite vitesse pour tourner le bouton de la radio. Une musique envahit l'habitacle. Idriss reconnut aussitôt la voix de Muriel sur des paroles de Daniel avec « Soleil d'hiver » L'histoire d'une jeune fille qui un matin, en silence, au bord du quai, doucement, a sauté. Une page de pub est annoncée alors Idriss bascule de la radio jusqu'à la playlist de son père. Devrait-il penser à l'effacer ? Il fait défiler les morceaux. Là, il s'arrête. C'est l'histoire d'une maison louée, pas très loin d'Avignon. Il termine enfin cette longue descente et CharlÉlie d'en finir « Mais il ne reste jamais rien de ce qui est vécu. Quelques grains oxydés sur la paraffine. Et des souvenirs idiots mais qui donne un peu de lumière...Les jours de pluie. » Le lendemain, le réveil ne sonna pas...

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