CHAPITRE 54

CHAPITRE 53. Fin juin. Du docteur à l'hôpital, mauvaise histoire. « Veux-tu vivre heureux ? Voyage avec deux sacs, l'un pour recevoir, Cette fois ci, c'est la bonne. Direction le cabinet du docteur ! l'autre pour donner. » Goethe Sept heures dix, j'arrive. Deux personnes sont déjà présentes. Je fais un rapide calcul : Ouverture du cabinet à sept heures trente. Fin du premier patient sept heures cinquante, fin du deuxième huit heures dix, après ma pomme, sortie vers huit heures trente. Je dois me rendre à l'hôpital pour neuf heures. Le trajet dure au total trente minutes. Il faut prévoir de passer par le bureau des entrées soit environ dix minutes... C'est trop juste ! Ça va me faire stresser et ceci n'est pas bon. Je remets à demain ce rendez-vous et me présente bien à l'heure, un peu avant même, à l'hôpital. Il y a une chose que je n'ai pas bien comprise. Je vais régulièrement à l'hôpital et toujours à la même heure, environ vers les neuf heures, et à chaque fois c'est la surprise. Parfois la salle d'attente est quasiment vide et parfois les bancs, pourtant très nombreux, semblent ne pas suffire. Je n'ai trouvé, pour l'heure, aucune explication satisfaisante. Là, par exemple, il y a foule ! Je prends mon ticket, douze personnes sont devant moi. Heureusement, cela va très vite, de nombreux bureaux sont prêts à accueillir le public. Je reste moins d'une dizaine de minutes. Puis il faut passer par l'accueil du service en question et enfin l'accueil du lieu des consultations. Pourquoi faire simple... La personne du bureau des entrées était très compétente et sympa. Celle du service, un grand en dessous, mais quand même compétente et sympa. J'arrive au troisième, une petite jeune, la trentaine. Avec un air pas sympa...Madame est au téléphone...Pas le temps d'accueillir ni d'un geste ni d'un sourire. Elle se la joue, c'est triste. Mais qui produit ce film, merde ? Je rejoins la salle d'attente. Deux personnes arrivées après moi, passent avant moi. Ça a le don de m'énerver même si je sais que l'heure d'arrivée n'engage en rien. Enfin la petite jeune vient me chercher et me désigne un des cabinets de consultation, me dit d'enlever mon tee short, ma ceinture et de m'allonger. C'est la démarche habituelle. J'attends. D'habitude le médecin arrive presque aussitôt. Je regarde l'heure, ça fait plus de dix minutes. Je me dis que c'est la petite jeune la responsable. J'attends ! Un quart d'heure est passé. Je suis persuadé qu'ils vont me dire qu'ils m'ont oublié. Je me lève. Je remets ma ceinture et mon tee short et je quitte les lieux. La personne de l'accueil me récupère alors que j'allais franchir la porte du service « Mais monsieur, vous devez attendre...Le médecin va arriver... ». Je dis mon mécontentement quant au timing, j'hésite, mais je rejoins le cabinet et j'attends. 2 Le médecin arrive « Il y a un problème ? » x Je crois bien, non je suis sûr, qu'elle parle de ma manière de me comporter. e + x Je réponds à côté « Non, c'est pour un suivi. » Cette dame fait très bien son travail. L'examen est total et approfondi. Plusieurs fois elle me fait comprendre qu'à l'hôpital on n’est en rien prioritaire. Je sais bien qu'elle a raison. C'est ma faute... Encore une fois je regrette de m'être emporté. « Errare humanum est... Bilan : RAS. Je remercie maladroitement ce médecin, me rhabille et sort. La dame de l'accueil me dit « Au revoir » Vraiment je n'ai pas assuré « Quel con ! » Je me suis fait tout un monde ! … Sed perseverare diabolicum est ». « Nous piétinerons éternellement aux frontières de l'inconnu... c'est cela qui fait de nous des hommes. » Issac Asimov. (Depuis pas mal de jours, je sens monter en moi beaucoup de colère, trop. J'ai acheté des gants chirurgicaux pour les empreintes...) Une très bonne nouvelle ! Entendu sur France Inter, 4 H 45. C'est très rare que j'écoute France Inter la nuit, surtout quand je suis en ville, sauf pour la rediffusion de l'émission « Par Jupiter » et son journal de presque 17 H 17 avec bien sûr son lot de brèves et Pablo – Oh capitaine, mon capitaine - quand il daigne venir...Et puis Charline, Alex, Guillaume et la petite Constance toujours prêts à embarquer. On a tous ses préférés, non ? Souvent je navigue entre quatre stations qui se la jouent colle-colle avec RMC, Europe 1, RTL et France Info mais cette nuit-là... La radio était restée sur Inter. J'ai la tête dans le cul. Pas envie de me réveiller. Je fais semblant. Je me force à ne pas ouvrir les yeux. Pas envie de savoir quelle heure affiche le réveil. On peut vraiment dire que je suis entre deux eaux. Pas complètement sorti des rêves, pas encore dans la réalité. Le temps passe ainsi... « Ainsi font-font-font les petites marionnettes, ainsi font-font-font trois petits tours et puis s'en vont ». Je m'interroge « Suis-je bien ? ». Je ne le sais nullement mais j'ai envie de le supposer. Le temps passe ainsi... « A la claire fontaine, m'en allant promener, j'ai trouvé l'eau si claire que je m'y suis baigné... ». STOP ! Je n'ai pas fait attention. Je viens d'ouvrir un œil. Il croise aussitôt le réveil. Je ne vois rien. Je le rapproche de moi, là, ça va mieux : Il est 4 H 45. J'ai envie de dire « Et merde » mais je ne dis rien. Tel un premier réflexe j'allume la radio. Un mec parle. Il n'arrête pas. Ça ne ressemble pas à RMC avec ses grandes gueules, pas à Europe 1 avec Christophe Ondelade ou Olivier Delacroix, ni à RTL, c'est facile c'est la bande à Ruquier avec les grosses têtes. Peut-être France Info ? La nuit les reportages sont parfois plus longs. Je ne comprends rien. Mais que veut dire cette personne ? J'ai la flemme de changer de station, alors j'écoute. Mais où veut en venir cette personne...Et personne pour l'arrêter dans sa course folle. Et Monsieur développe, sans gêne, ses arguments. Il est fou ce mec, non ? Mais qui dirige cette station, merde ! Il me faudra près de cinq minutes pour comprendre, enfin un peu seulement, ce qu'il cherche à nous transmettre. L'animateur intervient. Ça tombe bien, non ? Je reconnais aussitôt le timbre de voix de l'animateur mais impossible de me souvenir, ni de l'émission et encore moins de ladite station. Ce n'est pas du France Info...Alors c'est qui ? Le mystère s'épaissit...Ma tête, ma pauvre tête. Reconstitution de la scène. Les propos ne sont pas garantis. Quoique... L'animateur « Donc si je vous suis bien les déchets nucléaires que nous avons pris l'habitude d'enfouir pourraient être traités ? ». Le savant fou « Tout à fait. En ajoutant, ou en retirant – j'avoue j'ai un doute - un élément à l'uranium nous effacerions toutes traces de réactivité et passerions ainsi de plusieurs milliers d'années à une trentaine de minutes ». Je suis sûr des trente minutes mais pour le reste je crois bien qu'il parlait d'un million d'années. Pardon ? Mais il est fou ce mec. Et puis qui c'est d'abord ? Ça me paraît totalement fou. Tellement fou que maintenant je suis totalement réveillé. Les yeux grands ouverts comme des soucoupes venues de l'espace « Allo, capitaine Kirk. Où en est-on de la mission ? Devons-nous envisager une téléportation ? ». C'est sûr, nous sommes dans le monde de la science-fiction. J'entends la voix de Pablo, celle du capitaine « Nous avons trouvé une planète similaire à la terre. Rendez-vous vers l'étoile KOI 701, planète 04. Mais il y a un hic ! La durée du voyage est fixée à des années lumières. C'est impossible même sur de très nombreuses générations. » Pour la première fois, Pablo pleura... L'animateur poursuit et continue de s'interroger. Il a dû mal à comprendre l'échelle qui permet un tel écart et demande des précisions sur cette durée fixée à trente minutes. Je me dis qu'il n'est pas le seul ! Les arguments du savant fou sont moins convaincants. Il essaye d'expliquer que c'est avant tout une représentation...Bref, on ne comprend rien mais dans l'absolu ceci « pourrait » être possible. Surprenant, certes, mais possible. Il n'existe pas de science finie, non ? On admet une théorie faute de mieux j'allais dire. Il faut toujours être sur le qui-vive et prêt à douter à tout moment et puis tout recommencer. « Le silence est la politesse de l'âme. » Lydie Salvayre. C'est déjà la fin de l'émission. Un peu plus de dix minutes pour comprendre. C'est peu et pourtant dans ma tête l’U 235 part en chaîne, simple réaction. J'ai le nom de l'émission sur le bout de la langue...Quand le présentateur annonce la fin et remercie la personne « Docteur ...Merci. C'est la fin de la tête au carré... ». C'était donc ça ? La rediffusion de l'émission de 14 heures sur France Inter. Ce timbre de voix si particulier, celui de Mathieu Vidard. Voilà pourquoi je connaissais bien cette voix. C'est un magazine passionnant que je suis assez souvent. Je n'ai pas retenu le nom du docteur – l'était-il seulement ? - Je vérifierai sur Internet. Pour l'heure je trouve qu'il s'agit d'une très bonne nouvelle. « La tête au Carré » c'est sérieux, Inter aussi. Oui, c'est une très bonne nouvelle. A confirmer d'accord mais voici une bonne raison de se lever. Ça évitera que l'on pollue toujours les autres. Ces pays pas encore développés qui sont les poubelles d'un monde dit civilisé. Bien sûr les cargos et autres ferrailles continueront à polluer, les carcasses des ordinateurs iront rejoindre les déchetteries sans oublier nos poubelles soi-disant déjà traitées. Au moins nous arrêterons cette course folle. Folle car sans limite de temps. Quand je pense à toutes ces décennies où l'on a fait comme ci, à notre façon nous l'avons enfoui. Parfois chez-nous, souvent chez les plus pauvres. C'était de la folie. Des gens soi-disant sérieux déclaraient « Avec notre procédé c'est du sûr ! ». Fallait-il être inconscient. Qui peut dire comment sera la terre dans deux mille ans ? Qui se souviendra des stocks enfouis entre le déplacement des populations, les guerres, le climat... Dans le monde de la science-fiction on parle même de bactéries ou autres virus. Fallait-il être inconscient, non ? Et là je ne parle que de deux mille ans...Mais plus tard, bien plus tard. Science sans conscience... Bien sûr je ne parle pas de l'étanchéité des fûts déjà défaillants... ---- Dif : f : U ---> F f : U ---> F et g : U –> G ---- Lors de mon passage dans ce pays où fleurissent les mini bibliothèques de rue j'y ai bien sûr déposé un certain nombre de livres mais je n'ai pu m'empêcher d'en récupérer un. Pourtant j'essaye toujours d'être vigilant mais ce bouquin me tendait vraiment les bras. Je ne le voulais pas, je n'y suis pas arrivé. Déjà il avait un format peu commun, tout en longueur, à l'image de cartes routières d'autrefois. Il s’intitulait « La parole aux étudiants : Vous avez les clés du Monde, que changez-vous ? ». Intéressant, non ? Tout un programme. « En les lisant, dit Étienne Klein président de ce Jury, on découvre comment ces jeunes et brillants esprits interrogent à leur façon les notions de pouvoir et de progrès ». Le Jury a choisi trois lauréats sur une centaine de copies sélectionnées. Et étonnement on n'y parle pas que d'économie. Diakhère Gueye, École Polytechnique explique « L’Humanité, persuadée de ne pouvoir rien faire, a arrêté de tenter. Effrayée par la taille de ses adversaires, elle s'est retirée de la course. Convaincue de sa défaite, elle a déclaré forfait. L'indifférence est un moyen de nous protéger, d'éviter la souffrance de l'échec. C'est un remède empoissonné. Aujourd'hui, nous ne cherchons plus à protéger l'autre, mais à nous protéger de la souffrance de l'autre ». Étienne Klein explique « Comment ne pas conclure que ces trois jours passés à Aix-en-Provence représentent une expérience culturelle et intellectuelle de valeur sur les métamorphoses de notre Monde ». On y parle économie, comme pour le dernier des lauréats et notamment ce texte intitulé « Pour un système international bimonétaire ». Elias Orphelin du lycée de Nantes raconte « Si nous avons les clés du Monde, nous proposerions une réforme internationale des systèmes monétaires et fiscaux. Nous proposons la création d'une monnaie commune internationale mais également la création ou le développement de monnaies locales. Ces monnaies locales ne seraient utilisables que dans les zones où elles sont émises... » Et de dérouler ceci dans un style très séduisant. En réalité, au fil des différentes lectures, on constate que quatre thèmes reviennent de façon récurrente : L'environnement, les inégalités, l'éducation et l'Europe. Comme une envie de résumer cela à travers les mots de Jacques Chirac « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs » et Samuel Ligonnière, de l'Université de Lille d'ajouter « Si ces mots peuvent retentir en chacun de nous, alors il paraît à première vue inconcevable de ne pas accepter les clés de cette si chère maison ». Ce bouquin qui n'aurait jamais dû m’intéresser, c'est vrai je l'ai pris seulement pour m'accompagner un temps – celui de prendre un bus – me passionne littéralement. Hugo Subtil, École polytechnique y raconte un véritable conte philosophique et de terminer par la voix du grand-père « Si tu sais méditer, observer et connaître. Sans jamais devenir sceptique ou destructeur ; Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître... ». Puis il y a le choc ! En tout cas pour le simple mortel que je suis. Perdu au milieu des mentions spéciales du comité de lecture ce texte intitulé « Il était une fois la révolution ». Guillaume Nevo, ENS, École d'économie de Paris nous invite dans son délire. Ceci démarre fort. Il commence son texte en reprenant l'intitulé, à savoir « Vous avez les clés du Monde, que changez-vous ? Il répond lui-même à la question « Tout ». L'intitulé plus la réponse tiennent sur la même ligne. Là, on se doute qu'il s'est fait plaisir mais l'étudiant a bien d'autres cordes à son arc. Il nous invite au cinéma. Et le son se veut en stéréo ! Un homme siffle. Un son émerge « Sean, Sean, Sean ». Sergio Leone n'est pas loin. C'est le générique auquel nous assistons. Place au grand spectacle. Et Guillaume de nous guider « La question est mal posée : « Vous avez les clés du Monde », mais où sont les serrures ? ». Et de préciser « On se replie, on se protège d'on ne sait trop quoi. On se laisse gouverner par une peur ambiante, celle du déclassement, de la maladie, de la pauvreté. Les réseaux sociaux rapprochent, mais rapprochent aussi des mauvaises nouvelles...Qu'il y a-t-il de pire dans la vie que ce désenchantement ? ». Il nous rappelle Martin Luther King avec son fameux « I have a dream » Et de se questionner « L’attentisme n'est décidément pas la solution. Devrait-on se considérer enchaînés dans la caverne, dans l'attente que l'un d'entre nous soit libéré pour qu'il nous apporte sa lumière ». Il parle aussi d’Erasmus, d'emploi garanti à vie, de la montée des nationalistes...Une liste presque sans fin et le tout dans un style très prenant, comme une impression d'être vraiment au cinéma, avant de conclure « Alors OSONS. Il était une fois LA REVOLUTION ! ». Ce texte m'a littéralement mis sur le cul. « L'écriture est la seule forme Je lui donne la première place, celle du cœur, celle qui vise trop bien. parfaite du temps. » C'était donc ça être étudiant...Je découvrais que c'était passionnant. Quel pied ! Le Clézio. J'avais déjà parcouru près d'un tiers de l'ouvrage. Je recherchais la maison d'édition : Nathan. Dans cette même collection et toujours dans le cadre du Cercle des économistes il y avait également les thèmes déjà abordés les années précédentes. Au choix : Imaginez votre travail demain. Dans un monde de turbulences qu'attendez-vous de la France ? De quelle nouvelle prospérité serez-vous les acteurs ? Ce livre, non désiré au départ, prendra bien vite le chemin d'une de mes bibliothèques. Celle des livres en attente de lecture car, oui, là, ce livre m'avait vraiment scotché. Je n'avais qu'une hâte, celui de le retrouver à nouveau. J'avais déjà observé le sommaire et il restait à venir tous ces passages de textes non retenus rassemblés sous le nom de morceaux choisis. Je savais que j'allais y découvrir de véritables pépites. 1 x de ] 0, 1[ , I f' ( x ) I < --- . ------ --------------------------------------- x de] 0, 1[ , 0 < f ( x ) < 1 2 Je pense à Alain. Et aussi à Paulo Freire. C'est lui qui écrivait « Lire est un acte de révolte. Et c'est pourquoi nous ne pouvons apprendre à lire à quiconque. Nous ne pouvons qu'aider les hommes à s'apprendre à lire...Personne n'éduque autrui, personne ne s'éduque seul, les hommes s'éduquent ensemble par l'intermédiaire du monde. » Parfois j'ai envie de lui dire « Alain, tu sais, on peut apprendre la lecture, et l'écriture bien sûr, à tout âge. » J'aimerais lui parler de cette femme de cinquante ou de cet homme de soixante...De cet apprentissage qui peut s'étaler sur un ou deux ans suivant la formule retenue. Mais ai-je un quelconque crédit à ses yeux ? J'aurais aimé lui dire « Si tu le fais, c'est sûr, tu l'auras ce passeport pour la liberté. » Je viens d'apprendre qu'une dame indienne de 99 ans vient de décrocher ce passeport. Rien n'est impossible ! « Tout est dans l'acte et nous sommes tous responsables de nos actes. » Dites « trente-trois » Depuis plus d'une semaine je ressens comme un mal. Assez peu fréquent en journée, cela vient peut-être du fait que je passe la plupart de mon temps à écrire et que mon énergie et ma concentration sont en jeu, en soirée ce mal devient omniprésent. Un jour, sans prévenir, mes deux bras sont devenus hyper-douloureux. Je regardais la télévision, il devait être vers les vingt heures, et soudain cette sensation d'avoir mes deux bras comme tétanisés. Comme si mes muscles restaient constamment sous pression. Comme une séance de sport qui n'en finirait plus. Cela me faisait tellement mal que j'ai essayé de me masser, peine perdue. La première fois j'ai pensé que la nuit allait tout réparer... J'ai pensé aux propos de Guy, un jour au restaurant « Passé la cinquantaine, si vous vous réveillez sans aucune douleur c'est que vous êtes morts. » J'ai même cru que le lendemain je l'avais oublié. Et puis il y eu une nouvelle soirée et les mêmes douleurs et puis une autre, et puis une autre...jusqu'à hier. Entre temps ma voiture refait parler d'elle. Pour de mauvaises raisons, bien sûr ! Il y a comme un hic dans l'histoire et me revoici de nouveau à pied. J'avais décidé pourtant de me rendre à Saint Paul, non pas pour poursuivre mes travaux mais pour arroser les plantes qui sont nombreuses. Je maintiens mon départ pour demain. « Plus on va dans l'infini, plus on a des chances de trouver l'universel. » Philippe Delerm. C'est le soir de ce départ sans voiture, environ dix-neuf heures, je regarde la télévision. Je suis presque surpris, je n'ai plus aucune douleur. Enfin une bonne nouvelle ! Pendant un temps je savoure. Un temps seulement. Certes je n'ai plus mal aux bras mais, un temps passé, la douleur s'est comme délocalisée. J'ai les deux jambes, les cuisses surtout, comme tétanisées. Les muscles tendus à l'extrême. Je peux dire que là je déguste. C'est violent. Je pense à une ancienne maladie que je croyais en sommeil. Je savais bien au fond de moi que je me mentais mais je préférais faire ainsi. J'ai des difficultés pour rejoindre mon lit. Mes muscles sont hyper tendus. Dans mon lit, j'ai mal ! Je m'interroge pour demain. Vais-je pouvoir faire les cinq kilomètres qui me sépare de Saint Paul ? Et pour le retour ? Et ma côte ? Je m'endors avec plein de doutes. « A quoi bon prendre la vie au sérieux, Puisque de toute façon Nous n'en sortirons pas vivant. » Alphonse Allais. Je me réveille quelques heures plus tard avec les jambes dans le même état. J'ai cette sensation d'avoir vieilli de vingt ans, minimum ! Je ne me reconnais plus. J'ai mal. Tout est douleur. Je me dis que cela ne vas pas durer. Juste le temps de relancer la machine. Je me force à rester optimiste. Je le dois. Je déjeune, il est à peine cinq heures. Je me relève avec difficulté, malgré tout je vais me doucher. Je suis en avance sur le timing alors avant de m'habiller je rejoins mon lit. Je me tiens les jambes repliées sur elles-mêmes, version fœtus ou chien de fusil. Cela me soulage un peu. Je m'interroge de plus en plus sur ce déplacement. Et si je n'arrivais pas à effectuer ces fichus cinq kilomètres ? Et si je n'arrivais pas à faire le chemin retour ? Et si, et si... J'ai hyper peur de ne pas y arriver. Le trouillomètre à zéro et le moral aussi. Je suis resté près d'une demi-heure dans la même position. Et puis il fallait bien penser à se lever. J'ai détendu mes jambes, j'ai ressenti une violente douleur ! Je me suis assis sur mon lit...Puis je me suis levé. Mes jambes semblent ne plus répondre, ou alors mal. J'ai l'air ridicule quand je marche, j'ai honte. Je ne vais pas pouvoir sortir ainsi ? Que faire ? Je n'avais pas d'autres solutions que rester terré dans mon appartement. J'ai passé la matinée au lit. Midi sonne. J'ai honte de ne pas y être allé. J'ai eu l'impression de ressentir un léger mieux alors après avoir mangé j'ai pris la route. Pas celle de Saint Paul bien sûr, c'est trop tard, mais celle du labo pour récupérer mes résultats. Puis l'hôpital pour confirmer une date et enfin le réseau des bus car ma carte ne fonctionne plus, ou très mal. Pour rejoindre le laboratoire j'ai pris le chemin qui me mène d'ordinaire vers mon frère avec ces escaliers en descente puis j'ai bifurqué, toujours en descente, vers ce chemin qui me mène à bon port. Je me dis que « jusqu'à là tout va bien, jusqu'à là tout va bien ! » « Sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille ! » Charles Baudelaire. En face du laboratoire, l'arrêt de bus. A vingt mètres tout au plus. Après ce premier bus je descends pour ma carte des transports, au total moins de cinquante mètres et changement de véhicule, je me retrouve dans le tramway. Direction l'hôpital. Un pont sépare l'arrêt du tramway et les portes de l'établissement, un pont d'une soixantaine de mètres peut-être. Je ressors de l'hôpital, reprends le pont et me voici prêt à rentrer. Je quitte ce tramway pour un nouveau bus, le numéro 4, le dernier. Je décide de descendre un arrêt avant le mien pour acheter du pain et des yaourts. J'ai marché une centaine de mètres pour effectuer mes achats et j'ai fait les trois cent mètres pour rejoindre mon arrêt habituel. Je n'allais quand même pas prendre le bus pour un misérable arrêt, ce serait abuser, non ? Et après, la côte ! Quand j'ai fait mes courses j'ai eu mal aux jambes. Petit à petit puis de plus en plus fort. Quand je me suis retrouvé à effectuer les trois cent mètres, j'ai regretté « Heureusement que je ne suis pas parti ce matin. » Je marchais très mal. Comme déséquilibré ! Je me suis senti ridicule. J'ai pensé aux personnes âgées, celles que l'on voit parfois marcher avec une drôle de dégaine. Comme si la personne était désarticulée. Presque une poupée qui aurait bien vécu, trop vécu. J'étais l'une d'elles. Bienvenue aux clubs des seniors. Non, des super-seniors ! J'étais au plus mal. Dans ma côte j'ai vécu l'enfer. Obligé de m'arrêter pour soulager un peu mes jambes « Heureusement que je ne suis pas parti ce matin. C'était tout bonnement impossible et je ne parle que de l'allée. Mon dieu comme je suis mal. Je viens de me prendre un de ces coups de vieux ! » J'ai vieilli d'un coup. Après ma côte et pour prendre la direction de mon allée et pour la première fois depuis dix ans j'ai noté deux séries de huit escaliers. Au même moment je n'ai pu m'empêcher de me questionner. « Et si je n'arrivais plus à grimper, franchir ces seize escaliers. En plus l’ascenseur ne commence pas sa course au rez-de-chaussée mais entre celui-ci et le premier étage. Un entre deux qui oblige à rajouter douze escaliers supplémentaires. Moi qui disait n'être pas concerné par l'ascenseur j'ai bien peur d'y être obligé. J'ai grimpé mes escaliers, j'étais tel un mort-vivant. Si j'en avais eu la force, une fois à l'intérieur de l'appartement, je crois bien que j'aurais pleuré. « Dans chaque vieux, il y a un jeune qui se demande ce qui s'est passé. » Terry Pratchett. _ 1 Bref rappel : Vx ------> ----- -------> ] 0 , +++ [ 2Vx Si l'on oublie l'enfance et ces petits bobos, je me suis retrouvé au moins à quatre reprises à frôler la mort. Pendant les manœuvres de l'armée, un tank s'est renversé et bien sûr j'étais en première ligne. J'ai été évacué en hélicoptère. Après plusieurs jours de coma je n'arrivais plus à me lever et encore moins à marcher. Impossible de m'exprimer par la même occasion. Après une convalescence de plusieurs semaines, plus d'un mois, je suis parvenu à parler à nouveau mais dans un total désordre. Si, par exemple, je voulais dire « Peux-tu m'aider pour aller aux toilettes ? » je disais « toilettes tu m'aider aller toilettes peux-tu ? » Et encore là j'étais en forme. Les débuts ont été bien plus laborieux. Dans mon crâne j'avais cette impression que mon cerveau se cognait à chaque fois contre mes parois. Pour la marche se fut encore plus long. Ne serait-ce que pour rester en position assis. La première fois où j'ai posé un pied à terre, j'ai dû faire un seul pas et vite je devais m'allonger sur mon lit. Ma première victoire a été d'aller jusqu'à l'armoire, puis la porte de ma chambre, puis une partie du couloir, puis un peu plus. A la fin j'ai touché le mur au fond du couloir. Bref, après une bien longue convalescence les choses se sont remises en route. C'est l'avantage de la jeunesse, non ? « Ce que cache mon langage, mon corps le dit. » Roland Barthès. Puis ce fameux cap de la trentaine. Deux mauvaises nouvelles en trois ans. A 27 ans j'ai été convoqué par un médecin. Il devait démarrer sa carrière car nous étions de la même génération. Il avait une attitude qui semblait bien solennelle. Une fois à l'intérieur de son bureau il avait toujours cet air grave. Il tenait un discours un brin alarmiste pour ne pas dire plus. J'ai essayé de suivre son raisonnement. J'avais cette sensation qu'il tournait autour du pot alors je l'ai arrêté. « Si je vous ai bien compris mon avenir semblerait très incertain ? Écoutez, j'aime la franchise et je suis prêt à tout entendre. Vous me donnez combien de temps ? - Maximum, trois ans...Peut-être moins. » « Quand l'insécable déboule dans J'ai accusé le coup. le fragmenté. » Ce n'est pas le tout de poser des questions faut-il aussi savoir écouter les réponses. En rentrant à la maison, avec Muriel, nous avons pleuré. Il était jeune ce médecin, heureusement il s'est trompé. La preuve, je suis toujours là ! En même temps à l'époque on n'avait ni le recul nécessaire ni le moindre traitement. Puis à 30 ans. Je devais me faire opéré d'un truc assez bénin. L'anesthésie s'est très mal passée. « Sur la table d'opération mon corps faisait des bonds » m'ont raconté des infirmières, plus tard. Je me suis retrouvé avec une énorme machine, comme une énorme pompe, pleine de morphine. Encore une fois mon corps avait lâché. Mais dans la version la plus dure. Après plusieurs jours de coma, non seulement je ne pouvais plus parler, me lever, marcher mais surtout je ne pouvais plus bouger du tout. Pas même un doigt. Pas même une phalange. xn xn gn (x) = ------------- + k. -------> gn (0) = k = 0, donc gn (x) = ----- . n (n – 1) ! n ! Je me souviens, alors que j'étais un légume dans ce service, de cette infirmière et de ma toilette. Elle soulevait mes bras pour nettoyer mes aisselles, mes jambes pour accéder à mes cuisses et mon entre-jambes. Elle me retournait pour laver mon dos. Et moi qui ne pouvait rien faire : mon dieu... Ce jour-là je me suis dit que le pire était arrivé. J'étais enfermé en moi-même. J'ai senti de l'eau sur mon visage. J'ai ressenti deux petits filets d'eau sur mes joues. Je ne pouvais rien faire d'autre. Pour la deuxième fois depuis mes 15 ans j'ai pleuré. J'aurais voulu ressentir cette eau salée. Mettre mon doigt pour ressentir ce liquide dans ma bouche mais, hélas, ce n'était pas possible. « Les larmes sont la pluie de l'âme. Elles lavent toutes les crasses. » Henri Gougaud. Au final, on m'a parlé d'une maladie génétique. Avec ma mère, ma sœur, mon frère et Guy nous nous sommes tous retrouvés à l'hôpital pour une biopsie. Heureusement Guy n'a pas été atteint, idem pour ma sœur et mon frère. Il y avait seulement deux résultats positifs : Ma mère et moi. « Merci du cadeau » Mais, pour une fois, ce n'était pas de sa faute. Pendant mon séjour j'ai eu droit bien sûr à de nombreuses infirmières et ainsi un infirmier. C'est lui qui m'a raconté ma première nuit sur place « Vous savez vous nous avez fait bien peur. A plusieurs reprises nous avons eu peur de vous perdre » Quand j'ai quitté définitivement ce service je mettais promis de faire un courrier pour les remercier. Je ne l'ai jamais fait, hélas. Aujourd'hui encore je le regrette. Enfin, plus proche de nous, avec cette compagne qui a partager ma vie pendant cinq ans. Je l'aidais pour monter son stand. C'était le matin de très bonne heure. J'étais patraque, mal dans ma peau. Je me suis assis un instant. Quand je me suis relevé c'était pour mieux chuter. Je me suis étalé de toute ma hauteur et retour vers le service réanimation. Ce que je sais c'est que je suis resté longtemps en réa. Mes souvenirs sont parcellaires. Je crois qu'on essaye toujours d'oublier le malheur et encore plus l'âge venu. Mais aujourd'hui le problème se voulait génétique. J'ai rencontré plein de médecins, des professeurs et j'en passe...Chacun avait sa version. J'ai essayé d'écouter tout le monde et après réflexions j'ai pensé que c'était cette jeune fille, médecin également, qui avait raison. C'est elle qui s'approchait le plus de ce que je pensais. Pourtant ses propos n'étaient pas des plus rassurants. Elle m'a parlé de cent cinquante myopathies aujourd'hui connues mais avec très peu de traitement, pour ne pas dire aucun puis elle m'a précisé « Voyez-vous d'ordinaire les muscles sont dans un premier temps sollicités puis grâce à un système de cascades des toxines sont éliminées avant que ces derniers reprennent leurs formes. Chez vous cette cascade n'existe pas ou peu. Je vous dois la vérité, à relativement court terme vous allez être obligé de marcher avec l'aide d'un fauteuil ». Bien sûr que c'était affreux, même si je préférais cela à un état de légume, de toute façon elle seule semblait tenir un peu la barre, le cap. « Aimer, c'est risquer le rejet. Vivre, c'est risquer de mourir. » Paulo Coelho. Voyons les choses du bon côté « J'ai gagné énormément de temps, presque vingt ans » Ma mère a toujours eu du mal à marcher et encore plus passé le cap de la soixantaine. Je suivais, hélas, le même cap et personne pour maintenir la barre. On se sent tout petit dans ces cas-là. « Comme un grain de poussière » dirait Jacques Higelin. De toute façon c'était la vérité. Nous ne sommes rien d'autre dans cet univers-là. « Naître, c'est recevoir tout un univers en cadeau. » Jostein Gaarder. J'ai pensé à autrefois, c'était il y a presque un quart de siècle. J'étais au journal en trait d'écrire sur mon ordinateur. Un collège passe une tête dans le bureau « On organise un match de foot pour la journée de samedi. La rédaction des sports contre nous. T'es des nôtres ? - Et comment ! » lui ai-je répondu. J'étais trop content de montrer aux autres comment j'évoluais sur un terrain. J'étais un peu trop confiant, je crois. J'avais oublié que j'avais arrêté sa pratique vers l'âge de quinze ans et depuis l'armée le sport ne rythmait plus ma vie. Samedi est arrivé, comme j'étais content ! Le match venait de débuter quand un collègue, me voyant démarqué, m'envoie le ballon dans la profondeur. Je fonce pour récupérer le ballon mais l'accélération n'a jamais eu lieu. Je pensais courir très vite et je faisais du surplace. J'étais comme une marionnette, désarticulée. J'ai eu honte. On a fini la partie et depuis je n'ai plus jamais pratiqué ni même fait aucun autre sport. « No sport » disait Winston Churchill. « La plus grande gloire n'est pas de ne jamais tomber, mais de se relever à chaque chute. » Nelson Mandela. « La mort est un état de non-conscience. Ce qui n'est pas, n'existe pas. Donc la mort n'existe pas. » Woody Allen. 1 1 --- ( I 0 0 > + i I 0 1 > + I 1 1 > ) --- ( I 0 0 0 > + I 1 1 1 > ) V3 V2 (Je devrais canaliser cette violence que je garde au fond de moi, je n'y arrive pas. Que dois-je faire ?)

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