CHAPITRE 57
WANTED (bis)
TÉMOIGNAGES
« Bonjour, je me présente, je suis une femme de trente-trois ans, j’ai trois enfants et mon compagnon. J’ai deux sœurs, un frère et une mère qui ne m’aime pas.
A treize ans j’aimais sortir avec mes amies, parfois avec des garçons, et quand je revenais à la maison, de ma chambre, j’entendais ma mère et mes deux sœurs dirent « Y’a la pétase ou Y’ a le top model. » Je ne disais rien. J’encaissais.
A vingt-deux ans j’ai eu mon premier enfant. Ma mère m’a fait une crise « Non mais ça va pas ! Je ne vais quand même pas être grand-mère a à peine quarante ans. T’es folle ! Et puis tu ne connais rien de la vie, pauvre fille... » Je n’ai rien dit.
J’ai donné de l’argent pour mes sœurs. Pour l’achat d’une voiture, des quittances EDF, des fringues...Elles ne me l’ont jamais rendu. Le jour où j’ai eu des embêtements financiers elles m’ont répondu « Va voir l’assistance sociale. » Je n’ai rien dit.
A trente ans j’ai fait deux accidents vasculaires. Quand j’ai été accueillie à l’hôpital j’ai eu droit à deux personnes qui m’ont jugé « Vous faites du mal à votre maman. Vous êtes une mauvaise mère. »
J’ai fait une crise d’angoisse. Le lendemain j’ai appelé ma sœur et cette dernière de me dire « Oh c’est rien ! Maman a voulu se confier. » J’ai raccroché, j’ai pleuré aussi.
J’aurais tellement souhaité parler de cet accident vasculaire cérébral. Je ne vis pas, je survie…
Bien loin d’une famille aimante, je n’en peux plus de toutes ses critiques. » Nanou.
« Perso j’ai un père qui s’en bat la race de moi, ne me donne aucune attention, narcissique, colérique (pas violent), bref c’est un stress permanent. Il est hors de question que je sois le même genre de père. Je serai un père archi-cool, mes enfants pourront se confier à moi sur n’importe quel sujet. Je leur lirais des histoires, j’écouterais attentivement tout ce qu’ils veulent me dire. Je leur inculquerais de vraies valeurs. On jouera ensemble à la PS 17. On regardera des animes… Bref construire un foyer heureux ! » Gabin.
« J’ai trente ans, un petit bébé de deux mois et un compagnon adorable. Quand j’ai rencontré mon conjoint, il y a six ans, mes parents lui ont trouvé plein de défauts : mal élevé, pas beau, pas normal (mon père m’a dit qu’il ne marchait pas normalement). J’ai décidé de couper les ponts. Ma mère me harcelait au téléphone. Un jour ma sœur a demandé à mon conjoint de lui réparer son ordi et sans faire exprès, il est tombé sur un message très bizarre concernant un héritage. En fait, toute ma famille, mes parents, ma sœur, mes grands-parents complotaient derrière mon dos pour que ma sœur hérite de la propriété des grands parents. Nous sommes tombés sur des papiers de notaire expliquant qu’après décision de famille, une seule petite fille était considérée dans l’action et que les négociations n’avaient pas permis d’obtenir un accord. Mais comment aurais-je donné mon accord puisque je ne suis au courant de rien. Je me suis effondrée. » Betty.
« J’ai quarante ans et une sœur aînée. Toutes les deux nous avons grandi dans un climat de négligence parental (physique, affectif…). Une mère dure, autoritaire et un père absent soumis à la mère et des choses sur leur mode de vie que je n’oserai même pas citer, par honte.
Ma sœur a quitté le foyer à dix-huit ans. Moi, à quatorze. J’ai connu les foyers, le rejet des aides sociales… Dernièrement mon père est mort. Depuis ma sœur, la pauvre, comme elle habite à côté, se sent obligée d’y aller matin et soir. Ma mère déverse toute sa haine, sa colère, ses états d’âme sur ma sœur. Elle épie les moindres faits et gestes et y va de ses commentaires. Elle la casse sur sa manière de vivre, sa tête du matin… Elle doit la conduire là ou là et ma mère joue les victimes.
Et ma sœur dans tout ça. Que dois-je faire ? » Papillon
CHAPITRE CINQUANTE SEPT. Bien, bien plus tard.
La canicule aura eu raison des forces de mon père Idriss. Les médecins nous avaient prévenus. Vingt-cinq jours sans air...Comme asphyxié. Et moi qui me retrouve seul. Cela fait plus de trois mois qu'il réside ici, dans cette maison médicalisée, et je n'ai toujours pas libéré son appartement.
Ma sœur est partie faire un stage de restauration en Angleterre. Elle devrait revenir dans une dizaine de jours. J'ai laissé un message, j'espère qu'elle les consulte et que j'aurai rapidement des nouvelles.
Mon frère, comme toutes les années, depuis j'ai l'impression toujours, est parti faire les saisons. Il voyage ainsi au fil des régions, des pays, des continents. C'est le globe-trotter de la famille et chaque fois c'est pareil, enfin j'exagère mais souvent, il est injoignable.
Les papiers administratifs, les rendez-vous aux pompes funèbres, et tout le reste, ceci me déprime.
Cela fait plus d'un mois que j'aurais dû rendre ses clés Je sais bien que je dois vider l'appartement d'ailleurs j'ai demandé à une ou deux connaissances voire amis un peu d'aide.
Deux autres personnes de la famille m'ont confirmé leurs présences, une cousine et un cousin.
Angélique, malgré son âge avancé – on a fêté l'année dernière ses quatre-vingt ans – m'a bien proposé son aide mais je ne vois pas ce qu'elle pourrait bien faire. Je ne voudrais pas paraître indélicat mais elle risquerait davantage de nous faire perdre du temps plutôt que d'en gagner.
Quand on pense à mamie Angélique ce n'est pas vraiment à cela que l'on pense, oh que non !
Dans la famille, quand on évoque mamie, on pense avant toute chose à l'argent, à l'héritage.
J'ai toujours entendu dire qu'elle est la personne la plus avare que l'on puisse rencontrer et d'après les dires de toute la famille elle aurait amassé des sommes folles. Les différents comptes à la banque sont à bloc et puis il y a le patrimoine immobilier et mobilier. Et puis il y a aussi une suite...
Quelqu'un a-t-il déjà vu un trésor suivre un corbillard, non ?
Certains parlent de lingots, de Napoléon, peut-être de bijoux cachés dans une de ses propriétés.
Reste à trouver laquelle ? Bientôt je prédis une chasse aux trésors grandeur nature !
Pour l'heure, je l'ai remerciée de son offre mais l'ai déclinée.
Par contre j'ai accepté celle des deux fils de David. Ils partagent ensemble une même passion, celle des salles de sport. Je crois que ses bras là nous seront bien plus nécessaires.
Tout a été très vite, trop vite. Une vie comme ça distribuée, offerte à la vue de tous.
Nous avons commencé par vider le contenu des différents meubles pour les mettre soit dans des grands cartons soit dans des plastiques. Ceux-ci ont fait partie du premier voyage.
Des meubles ont été descendus, des cartons et des plastiques continuaient leurs courses folles.
Ça passait ainsi...De main en main. On aurait dit des vagues. Comme des vagues qui s'éloignent du rivage. Les mains c'était l'eau, dessus semblait flotter tout un bric-à-brac et il disparaissait à l'horizon. Une citation de Lamartine, à l'image d'un souvenir d'école, m'a paru tout a fait de circonstance. « La vie est ton navire et non ta demeure. ». Bateau ivre, va ! Pourrait raconter papa.
Jusque-là j'arrivais à gérer ! Puis le navire a pris l'eau. Les vagues disparaissaient vers un horizon et emportaient avec elles ce tout. Le tout d'une vie. Devant mes yeux j'ai vu ce tableau du radeau de la Méduse. Cela faisait treize jours qu'ils dérivaient et moi je décrochais mon passeport pour l'éternité.
Jules Michelet, contemporain du peintre expliquait « C'est la société toute entière qui se trouve sur le radeau de la méduse ». J'étais cette société, à mon échelle, non ?
On a jeté beaucoup de choses directement à la poubelle : Des livres, des revues, des papiers, du linge d'une autre époque, des objets divers devenus totalement obsolètes.
Une liste presque sans fin, une vie quoi !
Quand le dernier convoi est parti j'étais soulagé et malheureux.
A chacun j'ai proposé, s'il le souhaitait, de récupérer un objet.
Voilà, c'est fini. Terminus. Le navire ne rentrera plus au port. Le train ne rentrera plus en gare « veuillez ne pas gêner le fonctionnement de notre petit train de la vie et merci de votre vigilance »
J'allais refermer la maison quand Cloé, ma sœur, m'appelle « Oui, j'ai bien eu ton message. C'est fou, j'ai du mal à réaliser. Écoute, je me suis arrangée avec mon boss, je serai là dès demain. Si tout se passe bien, normalement je devrais être là vers les seize heures...Ah bon, vous avez terminé...Tu as gardé ses livres qu'il aimait tant, et ses collections ?
Je me suis entendu lui dire « Tu sais cela à été très vite. Certains livres ont été jetés...je n’ai pas pu tout gérer...Si tu veux dis-moi ce qui t'intéresse, au cas où cela ait été jeté à la poubelle, j'irais vite le récupérer ». Un ange est passé, plusieurs. Cloé a repris la parole « Vous avez vidé la cave aussi ? »
J'ai répondu par la négative, effectivement je n'y avais pas pensé.
Elle reprit « Bon, on le fera ensemble demain. Tu viens me chercher ?
-J'ai trop de boulot en ce moment. Si tu veux donnons-nous rendez-vous sur place. Je t'attendrai.
-D'accord, à demain. Ah j'allais oublier, tu as pensé à Tristan ? Comment a-t-il réagit ?
-Tu le sais bien, il est la plupart de temps injoignable quand il part en saison. J'ai laissé un message.
-Bon, on en reparlera, à demain ».
Je ne suis pas passé par la case poubelle.
Je suis allé voir à la cave. J'étais sur place alors autant en profiter.
Je m'attendais à pire. Heureusement il n'y avait que peu d’encombrants. Un vieux lit déformé par le temps, le matelas toujours en place traîne jusqu'à terre, une armoire avec une glace cassée, quelques outils d'un autre temps, une pile de tableaux de différentes tailles et au fond deux grandes malles.
Dans l'une d'elles, des souvenirs de ses voyages mais aussi un véritable bric-à-brac.
Je vais attendre Cloé pour découvrir vraiment son contenu.
J'ouvre la seconde. C'est rempli d'enveloppes. Certaines sont fermées et d'autres non. On dirait comme des dossiers. J'en prends une au hasard !
Sur ces enveloppes on peut lire à chaque fois une ou plusieurs dates avec le libellé correspondant.
Je me dis que cela risque d'être très long à trier...
Bon, allez, j'ai ma dose pour aujourd'hui. Je vais attendre demain.
Je referme la malle...Quand au dernier moment, je ne sais même pas pourquoi, mon regard est attiré par une enveloppe. A cela deux raisons : Le format est beaucoup plus grand et puis ce n'est pas l'écriture de mon père sur l'enveloppe, ni même une quelconque écriture connue.
Je remets la malle en position ouverte et je sors ladite enveloppe.
Je remarque qu'elle n'a pas été refermée. A l'intérieur des dizaines et des dizaines de feuilles d'un format A4. Et puis aussi une autre enveloppe, plus petite et toujours cette écriture, même si quelqu'un a écrit au marqueur pour tenter d'effacer le message.
Bon, je range cette enveloppe dans la plus grande. Je repars avec cette dernière sous le bras et la dépose sur la banquette arrière du véhicule.
Je rentre à la maison.
Avant de rejoindre ma femme et mes deux amours je laisse en évidence l'enveloppe sur mon bureau. Ce soir, ou peut-être demain, je regarderai de plus près cette enveloppe avec cette écriture inconnue et à l'intérieur de celle-ci sa petite sœur avec ces traces de marqueur.
Pour l'heure je n'ai qu'une envie, celle de retrouver ma famille.
Ma fille puis mon fils m'appellent. Je franchis, heureux de les avoir tout à moi, la porte du salon.
Ils ont fait, avec leur maman, un gâteau. Alice pose celui-ci sur la table...Et oui, la vie continue.
« Show must go on ! » Je suis heureux, ici et maintenant. Nous sommes heureux.
Plus tard dans la soirée Sophie et Ulysse se chamaillent autour d'un nouveau jeu sur l'univers.
Ils sont là, comme des fous, à fabriquer des galaxies et des univers multiples.
Avec Alice nous nous amusons de les voir si plein de vie et nous nous prenons même au jeu.
Nous devenons les créateurs de notre propre monde, c'est passionnant.
Un instant, j'ai pensé à mon père, là encore sans aucune raison.
Souvent il nous parlait d'un certain William mais j'ai oublié, une histoire de temps plus ou moins assassin. Il faudra que j'en parle à Cloé, elle sera peut-être m'en dire davantage.
J'ai oublié William alors je le revois nous dire cette maxime qu'il aimait tant d’Albert Jacquard
« Ce n'est pas être, qui est si important, mais savoir être ! ».
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