CHAPITRE 44
CHAPITRE 44.
Début juin
Entre les tombes, je m'interroge toujours.
Parfois je me dis que je devrais me rendre au cimetière. Un jour baigné de soleil ou un jour de pluie, qu'importe ! Mais quelle importance, quelle signification à un tel recueillement.
Quand je pense à autrefois, enfant de moins de dix ans, je nous revois, le dimanche parfois, à des dates bien précises escaladant une montagne. Nous grimpions sur les lacets de cette énorme colline avant de rejoindre le cimetière. Entre les lacets on trouvait toujours un banc pour pouvoir se reposer un peu et on repartait de plus belle. Moi, il y a un truc qui m'a toujours étonné. Quand je pense cimetière je pense recueillement. Un moment privilégié avec le défunt. Dans ma famille on montait toujours avec tout un attirail : Une très grande balayette, une éponge, des torchons, une bassine... On était en quelque sorte comme un convoi exceptionnel, sans moteur.
« Souvent on se cherche
faute de savoir aimer. » Jacques Ferron.
Quand on arrivait près de la tombe personne ne priait.
La mère enlevait les plaques et autres fleurs en plastique ou en tissus et c'était parti pour un grand balayage. L'un de nous, à moins que ce ne soit le père, allait remplir la bassine près d'un des points d'eau et c'était reparti pour l'éponge. Après la mère jetait l'eau de la bassine, plus le contenu d'eau d'une bouteille ou d'un arrosoir, sur la pierre tombale. Nous, on attendait, un peu, parfois beaucoup.
Les minutes des enfants ne sont pas les mêmes que celles des adultes. Et ça je le savais, enfin j'en ai eu confirmation, suite à une exposition sur le troisième âge. C'est bizarre on pourrait penser à l'école et bien non c'était lors d'un séjour en colonies. Je me souviens, c'était à l'extérieur, dans un parc, il y avait plein de panneaux et sur l'un d'eux je me souviens m'y être beaucoup attardé. Il y était noté, de mémoire, qu'entre un nouveau-né et une personne âgée le temps défilait quatre-vingt fois plus rapidement. Ça m'avait sidéré ! J'avais bien conscience de la chose mais pas à un tel niveau.
Les gens oublient cette distanciation du temps. Le font-ils par habitude, mauvaise habitude ?
Et puis, on finissait par un coup de torchon, enfin la mère. Nous, on attendait en rang d'oignons.
Après la mère rangeait tout, d'un côté la balayette, l'éponge, les torchons et la bassine et de l'autre les plaques et autres fleurs revenaient à la vie sur une pierre désormais propre. Enfin, elle rejoignait nos rangs et pendant quelques secondes nous baissions la tête. Nous étions en plein recueillement. Ce qui m'étonnait surtout c'était le déroulement des faits. La mère nettoyait l'équivalent d'un bon quart d'heure et le recueillement lui prenait une dizaine de secondes. Et je suis large !
Je me suis souvent demandé à quoi ils pouvaient bien penser en si peu de temps. 3 n+2
A rien je crois. « Voilà, le cimetière c'est fait » devaient-ils penser, non ? P (A) = --- ( ----- ).
4 n+3
« Nous avons été ce que vous êtes, vous deviendrez ce que nous sommes. »
Les cimetières ce n'est pas trop mon truc. Je n'y vais jamais ! Pour l'enterrement du père, de mon oncle, de ma tante et aujourd'hui face à ma mère sinon le reste du temps peu de chance de m'y trouver. Non, aucune chance. En près d'un demi-siècle je n'y suis allé qu'une seule fois de mon plein gré. Peut-être celle de trop ? Je ne sais plus si c'était à Prague ou à Budapest mais un jour j'ai rencontré un homme peu commun. Nous voyagions ensemble et nous discutions fort courtoisement.
Je lui demande ce qu'il est venu chercher, ou rechercher dans cette ville où nous nous rendons.
A ma grande surprise il me parle de cimetières « C'est la première chose que je fais quand j'arrive dans une nouvelle ville » J'avoue ma surprise voire même plus, choqué serait plus juste.
Je m'entends lui dire « Mais c'est un peu malsain, non ? »
« Au contraire il n'y a rien de malsain. C'est votre façon de penser... C'est un lieu de rencontre. Une autre manière de voyager dans la ville et à travers le temps ». Ce jour-là, cela m'avait fait un peu peur. Nous nous sommes séparés pas très loin du cimetière. Je l'ai imaginé errer à travers les allées.
Puis un jour, bien plus tard, j'ai repensé à lui. J'avais, il est vrai, le moral à zéro alors pourquoi pas un voyage dans le temps et l'espace. J'ai déambulé à travers les allées, au milieu des tombes.
Quand je voyais des enfants, j'avais mal. Là, il y en avait un, il avait treize ans. A-t-il souffert ?
Au hasard des tombes, un prénom : Andreï. Ce dernier me ramène à ce physicien russe Andreï Linde qui expliquait que notre monde ne serait qu'une petite bulle dans un méta-univers composé d'une infinité d'autres bulles. Puis un autre prénom peu commun, Hugh. J'ai connu un Hugh, mais, là, je pense à cet autre physicien américain, Hugh Everett, qui pensait pour sa part que l'univers se subdivisait en deux chaque fois qu'il y aurait choix ou décision, d'où une variété infinie d'univers. Comme un voyage dans l'espace. Cela relativise, non ?
Consciemment ou inconsciemment je me dirige vers la seule tombe que je connaisse. Je n'avais pas choisi le cimetière en haut de la colline où étaient mes grands-parents du côté maternel mais le plus pratique, avec le bus qui s'arrête juste devant, celui de la famille du père.
Quand je suis arrivé devant la tombe j'ai vu les dégâts, je les ai surtout constatés. La pierre s'était fendue sur toute la longueur. Dans la crevasse on voyait la terre remonter. On ne pouvait pas laisser en l'état, non ? Alors j'en ai parlé à ma sœur et à mon frère.
J'ai proposé de diviser la facture en quatre. Joëlle et Alain pour chacun une part et moi pour payer le reste. Résultats des courses : J'ai fait un chèque. Tout seul, comme un grand.
Ça coûte cher la visite au cimetière, non ? Angélique a surveillé les travaux, moi je travaillais.
« La route de l'enfer est pavée de travaux en cours » Ph Roth.
Samedi passé je suis allé à Saint Paul.
Il y avait une dame, la soixantaine, avec de très belles roses qui attendait le car. Elles étaient drôlement belles ses roses : Du rouge comme l'auraient représenté les impressionnistes, par petites touches, floues de près et si nettes de loin, sur un fond blanc. Une pure merveille !
Je me suis dit que cette dame avait beaucoup de chance. On devinait à travers ses roses une véritable déclaration d'amour. Le rouge pour le sang, la passion et le blanc pour la pureté, l'innocence. Je me suis assis deux rangs en retrait et je la voyais en train d'arranger son bouquet.
Quand la dame au bouquet demanda à une autre dame située un peu plus loin sur la même lignée.
« Vous n'auriez pas une paire de ciseaux ? - La dame répondit par la négative – C'était pour couper la tige de mes roses. Mon fleuriste a oublié de le faire. C'est dommage, je vais les déposer au cimetière et ainsi elles auraient duré plus longtemps »
Tiges et fleurs comprises ce bouquet approchait en taille les cinquante centimètres. Tout était beauté et élégance. Je me suis dit qu'elle devait beaucoup aimer la personne. Un mari, un père, un frère, un enfant ? Ou une mère, ou une sœur ? Une amie, un ami ? Une chose est certaine, elle l'aimait.
Arrivé à Saint Paul, je n'ai presque rien fait.
Je suis arrivé vers dix heures et à treize heures je rejoignais ma voiture pour rentrer chez moi.
Avant de garer ma voiture pour plusieurs jours j'ai racheté des sacs de graviers.
Je devrais appeler Joëlle. Je devrais le faire pour confirmer le rendez-vous de demain. Le problème ? Je n'en ai aucune envie. A quoi cela peut-il bien servir ? J'ai l'impression d'être dans un monde de mauvaise foi, d'hypocrisie. Pareil pour ce patron des pompes funèbres. Quand j'ai franchi la porte lors de notre dernière rencontre j'avais affirmé « Vous n'êtes qu'un voleur. C'est de l'abus de confiance. Mon garçon, nos chemins commencent juste à se croiser. Vous n'avez pas fini d'entendre parler de moi... » A cet instant précis de l'histoire j'étais sûr que je serai là le lendemain, puis après et après... J'avais même prévu d'être présent lors d'enterrement. J'imaginais très bien la scène, les scènes. Aujourd'hui cela fait pile une semaine et je n'ai aucune solution. Je m'avoue vaincu. Vaincu par la famille, vaincu par ce monsieur. Je revois les images de la mise en bière. Ce cercueil premier prix, ce visage bouffi, ses cheveux longs, trop longs, tellement longs. Ses cheveux blancs, jaunes et sales. Personne n'avait pensé à la recoiffer. Je n'ai rien dit.
Je devine cette éternelle robe bleue qu'elle avait à longueur de journée. Cette robe que soi-disant tout le monde cherchait. Secret de polichinelle en vérité ! Plus tard, au cimetière, cette urne offerte...
...J'ai compris pourquoi... Plus tard...Trop tard. L'urne était gracieusement offerte...et fendue.
Je ne suis même pas certain que l'urne ait une quelconque plaque d'identité. _ _
Un véritable enterrement de pauvre. lim S = V3 ( V2 + 1 ).
Samedi je suis allé à Saint Paul. Il y avait une dame, la soixantaine, avec des très belles roses qui attendait le car...
Par la fenêtre de l'autocar j'ai surpris ce tableau. On dirait du Vincent tout craché. Du pur Van Gogh. Bien sûr que les meules de foin ne ressemblent pas à autrefois, dans leur forme notamment, mais quand je vois cela je pense à lui... Et je pense à Arles notamment. Ah, ce soleil... C'est si bon !
Arrivé à Saint Paul, je n'ai presque rien fait.
Bon, sur la route ce n’est pas toujours le petit paradis. Tiens, par exemple, ici et maintenant comme dirait l’autre, qu’est-ce que c’est que ça ?
Une énorme chaise faite pour se relaxer ?
Une chaise pour bébé version XXXL ?
Une chaise pour pouvoir observer les animaux et les prendre en photo ?
Que nenni ! Ceci est une tour de chasse, de guet. Ce n’est, ni plus ni moins, qu’un mirador également appelé affût surélevé ou échelle d’affût.
Un chasseur aime à marquer son territoire, dans le sang aussi.
« Pas glop ! » pourrait dire Gottlieb, un célèbre dessinateur de bande dessinées des années soixante-dix, et mes amitiés à Édika, notre maître.
Et que « Fluide glacial » soit toujours avec vous.
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