CHAPITRE 40
CHAPITRE 40.
Fin mai.
Une journée, presque, de détente.
J'ai choisi d'arrêter mes visites aux pompes funèbres. Je ne dispose plus assez de temps et puis je me dis que ceci me paraît amplement suffisant. Je pense comme Bernard Werber que « L'important n'est pas de convaincre, mais de donner à réfléchir... ».
J'ai décidé du programme de la journée : D'abord rendez-vous avez la banque pour des renseignements sur les virements puis faire les différentes photocopies et enfin acheter une nouvelle carte téléphonique. C'est une petite journée. Tant mieux car demain devrait-être mémorable.
Comme cette journée s'annonce tranquille je m'autorise à commencer par une visite chez mon bouquiniste. Le livre « Des vies sur un fil » attire mon attention.
L'auteure m'est inconnue, Blandine Bricka est rédactrice, animatrice d'ateliers d'écriture. Comme toujours je lis la quatrième de couverture et je suis immédiatement séduit « La vie parfois bouscule, heurte, blesse. Alors qu'on se croyait solide, soudain on vacille, on perd pied, l'horizon s'obscurcit, le fardeau est trop lourd... ».
Dix personnes racontent leur vie sur un fil et le goût retrouvé d'exister. « S'abstenir de lire, c'est
Je sais que je ne vais pas le quitter des mains. J'ai hâte de le lire. s'amputer de tout un pan de
soi-même qu'on ne découvre
qu'au travers du récit d'expériences tentées par d'autres. » Arielle Adda.
Une fois dans le bus qui me dirige vers l'univers des photocopieuses, j'attaque la première histoire.
C'est l'histoire d’Adelina et Ruslam. Ils vivaient ensemble, en couple, en Géorgie. Elle, médecin et lui, chef d'entreprise avec une dizaine de personnes sous ses ordres. Ils étaient heureux.
Ils vivaient très bien dans une maison de plus de cent mètres carrés quand les autorités ont décidé que les Arméniens n'avaient plus le droit de travailler. Adelina et Ruslam étaient Arméniens.
Mais que faire sans travail et donc sans ressource ?
On les suit, pas à pas, dans cette aventure. On les suit avec leurs enfants, leur décision de partir puis le périple de ce voyage, les douze mille euros pour les passeurs. La France, enfin.
Les quatre mois à vivre dans une voiture, à quatre.
Leur demande d'asile refusée...Les hôtels, les gymnases... Ruslam constate seulement mais sans jamais se plaindre « Peut-être que la porte et la fenêtre d'un bureau ne permettent pas de bien regarder ce qui se passe dans le monde ». En attendant, il est bénévole dans plusieurs associations.
Son souhait ? Qu'Adelina retrouve le sourire « Parfois, quand on boit le café ensemble, on se rappelle ce par quoi on est passés. Finalement, on n'a pas de papiers, mais on vit bien ».
Quelle leçon de vie !
« A trop donner, on s'abandonne. » Jacques Ferron.
J'arrive à destination, je n'ai pas vu le temps passer.
Voilà les photocopies des factures, des devis, les dernières volontés de la mère sont faites.
Je reprends un nouveau bus, direction la banque. 2 2 2 2
Cos 2a = cos a – sin a = 2 cos a – 1 = 1 – 2 sin a
C'est Roselyne et ses deux filles.
Toutes deux ont décidé de se marier avec des personnes étrangères. Toutes deux ont choisi de changer de religion et portent également l'habit traditionnel. Et toutes les deux divorcent, au bout de trois ans, au motif qu'elles ne respectaient pas la famille de leurs époux. Eux, ils ont leurs papiers !
Et Roselyne de préciser « On a beau aimer ses enfants et faire ce qu'on croit le mieux pour eux, ils sont eux-mêmes et ils font leurs choix. Quand on souffre et qu'on cherche trop à comprendre comment les choses arrivent, on s'invente des fausses réponses ».
Je ne suis pas encore arrivé à la banque que j'attaque une nouvelle histoire, une nouvelle vie.
C'est Laetitia « A 45 ans, je n'ai jamais eu de CDI. Depuis le début de ma vie professionnelle, j'enchaîne les contrats précaires et les périodes de chômage. J'ai rencontré plusieurs personnes qui croyaient en moi. Il me manquait un petit truc que je n'ai pas su trouver »
C'est l'arrêt de la banque. Stop !
Deux personnes sont devant moi face à l'accueil de la banque. Mais comme en face elles sont également deux, cela devrait aller assez vite.
Face à moi une jeune fille inconnue, peut-être une stagiaire, et une ancienne employée, une dame qui officie depuis près de vingt ans. Plus, peut-être !
J'espère que je vais tomber sur l'ancienne. Théorie du chaos : xt + 1 = kxt (1- xt)
Par chance c'est ce qui se produit.
J'ai choisi de jouer franc jeu « Voilà, quelqu'un me doit de l'argent et il me propose de me faire un virement. Pour être honnête je ne connais pas, ou peu, ce style de mode de paiement. Pourriez-vous éclairer ma lanterne ? » Pour l'heure elle semble attentive mais rien ne se produit, pas de réaction.
Alors je reprends la parole et interroge « On peut le faire même si c'est une autre banque ?
-Bien sûr.
-Mais je n'ai pas vraiment confiance. Comment ça marche ? »
Dans ses yeux, grands ouverts, je vois le vide. « OHE...OH...O.…o.… » répond l'écho
Très long silence, plusieurs anges passent et repassent.
Gêné j'ajoute « Il faut peut-être présenter un RIB ?
-Oui, c'est ça ». Nouvelle version du néant. On n'aura pas mieux.
J'essaye de demander si l'on peut joindre un conseiller, « ou vous, peut-être, au téléphone pour savoir si le virement a bien eu lieu ?
- Non, vous ne pouvez plus joindre l'agence. Par contre vous pouvez appeler un numéro où ils pourront vous répondre. Vous notez, c'est le 089... »
Stop ! C'est un numéro surtaxé. Aucun intérêt sauf celui de perdre son temps. Et bien sûr son argent ! Je sais que je n'ai rien appris d'intéressant et pourtant je la remercie, c'est comme ça.
(Depuis quelques jours, je sens monter une certaine colère en moi.)
Avant de rejoindre mon dernier bus j'achète une carte téléphonique.
Dans le bus je repense à la banque... « Contraria contrarius curantut ». Les contraires se guérissent par les contraires, non ? Jean Paul Sartre disait « Tout existant naît sans raison, se prolonge par faiblesse et meurt par rencontre. »
Avec du recul je pense à une chose affreuse. Cette dame, cette ancienne doit faire partie du cercle, non pas privé mais ouvert à tous, qui connaissait la mère. Toute la banque savait pour la procuration et bien sûr tout le monde a gardé le silence. J'ai vraiment été le con ! J'en suis sûr aujourd'hui !
Et tout ça à cause d'une mère immature, toxique et plus si aucune affinité. Quel con j'ai été !
Depuis toujours, et bien sûr même durant l'enfance, ma mère dénigrait ses enfants. Parfois ouvertement, parfois méchamment. Quand elle discutait avec ses voisins c'était toujours la même chose « Ma fille a du mal à bien comprendre d'où son placement. Idem pour son grand fils d'où cet isolement et pour le dernier il se bat pour ne pas être le dernier. Oh oui, mes enfants me font faire bien du souci ». Elle disait çà notamment l'été venu, quand les retraités trouvaient un coin à l'ombre pour poser leurs chaises longues, ou pas. Ça discutait ferme et un jour, avec les voisins, elle s'est engueulée et la mère a arrêté de descendre derrière l'immeuble mais certains voisins me l'ont raconté. Peut-être ont-ils été les seuls à comprendre que cette personne ne nous voulait pas du bien.
Tous avaient plus de soixante, sauf la mère qui approchait la quarantaine. Ils connaissaient tous le statut privilégié du père. Ils ont dû comprendre que si la mère voulait vraiment aider ses enfants elle serait partie travailler pour sortir de cette misère. Mais la mère refusait cette réalité alors l'été venu elle restait chez elle à regarder la télévision ou à lire le journal ou autres roman-photos.
J'allais écrire nous, mais c'est faux, moi, je m'ennuyais l'été venu à cette époque.
Encore une fois, çà aussi je l'avais oublié. Par envie de voir la mère telle qu'elle était.
Rien n'avait changé, hélas.
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