CHAPITRE 33
CHAPITRE 33. Début mai.
« Ce qui ne détruit pas rend plus fort. »
Où je récupère la facture des pompes funèbres. Nietzsche.
Aujourd'hui je suis passé chez mon bouquiniste.
J'y ai trouvé un livre qui me semble très intéressant sur les sciences modernes, un essai de Jacquard, un vieux livre du docteur Émile Durkheim (1858-1917) sur le suicide – Il fut considéré en son temps comme le père de la sociologie française – ainsi qu'une brève histoire de l'avenir de Jacques Attali. J'ai bien vu des auteurs tels que Daniel Pennac ou Philippe Delerm, des auteurs que j'aime bien sûr, mais j'ai déjà tellement de livres que je dois désormais faire attention.
Posséder plus de mille livres, c'est un problème. Alors, quand celui-ci devient un multiple on peut se sentir un peu écrasé par ce poids. Il y en a de partout. Cela me fait penser à la concierge de « L'élégance du hérisson », salut Muriel B.
En fin de matinée j'ai parcouru, survolé serait plus juste, ces différents ouvrages mais j'ai l'impression d'avoir la tête ailleurs « L'histoire humaine est celle de l'émergence de la personne comme sujet de droit, autorisée à penser et à maîtriser son destin, libre de toute contrainte, si ce n'est le respect du droit de l'autre aux mêmes libertés ». Comme je partage le point de vue de Jacques Attali. Pourtant mon attention est ailleurs.
Ni une ni deux je m'habille et saute dans un premier bus. Dans la rubrique « Sans aucune préméditation » je m'inscris.
Arrivé au terminus je prends un nouveau bus pour me rendre aux pompes funèbres.
Ma mission, si je l'accepte : Récupérer la facture des pompes funèbres.
« Nous sommes tous en train de livrer des batailles dont personne ne sait rien. »
XXXTentation, rappeur.
Il est tout juste quatorze heures lors de mon arrivé. Cette ville j'ai l'impression de la connaître par cœur, il faut dire que pendant plus de cinq ans je m'occupais d'une radio, à l'époque on appelait ceci encore des radios libres. Cette ville avec son marché autour de l'église. De mémoire ce marché, peut-être une fois par semaine, envahissait les rues la journée durant. Contrairement à d'autres villes de même taille, ici peu, voire pas, de magasins fermés à longueur d'années.
Je vérifie le numéro de la rue, à côté c'est le numéro trois donc pas de doute.
Je pousse la porte. Un homme apparaît. Il descend des escaliers pour me rejoindre. Je ne le reconnais pas mais je suppose qu'il doit être le patron. Je lui explique. L'enterrement, la défunte, la date et mon souhait. Il remonte. J'attends...J'attends... Il revient.
« Excusez-moi, je ne vous retrouve pas. Quel est le lieu du décès ? D'accord...Le 17 vous m'avez dit... ». Il remonte. Je commence à trouver ceci un peu bizarre mais n'en fais pas cas.
J'attends...J'attends...Il revient. Et là, le doute s'installe.
C'est moi qui prends les devants « Vous êtes bien les pompes funèbres du 5 rue du marché ? ».
« Ah non. Ils sont un peu plus loin ». Je le sens soulagé.
Je m'excuse pour la confusion et reprends ma marche.
Dommage que ce ne soit pas lui car le magasin était ouvert tous les jours aux horaires de bureau.
Je ne pense pas que se saura le cas pour la suite. Alain m'a prévenu « Il n'y a personne quand il y a un enterrement ». Je m'attends à trouver porte close.
« Je suis tel un équilibriste sur un fil imaginaire. »
Depuis plus de quinze ans j'ai perdu un peu mes repères, quoique ? Dans cette rue qui me mène vers la bonne direction je reconnais quand même certaines enseignes et puis la mémoire semble se reconnecter. J'anticipe le prochain carrefour puis ce marché, moins connu et plus excentré, qui est réservé aux marchés bio. Quand j'arrive en vue du magasin, un client en ressort. Super ! Je reconnais la personne. Le maître de cérémonie en quelque sorte.
« Être humain signifie essentiel-
lement que l'on ne recherche pas la Perfection » G Orwell
Il me reconnaît également. Enfin, je crois.
Et c'est reparti : L'enterrement, la défunte, la date, le chèque et mon souhait.
Il m'invite à m'asseoir. Il va récupérer le dossier dans son bureau. Je reste debout pour montrer que je suis pressé et puis je n'ai pas envie de discuter.
Il revient. Il s'assied. Je n'ai plus vraiment le choix, je m'assieds. Sur la table, le dossier. Je vois mon courrier qui dépasse. Je lui parle du chèque. Il me répond qu'il n'y a eu aucun problème.
Alain a lui aussi payé en chèque. Il m'apprend qu’Angélique l'a appelé dernièrement. Se faisait-elle du souci ? Il me parle de la journée.
Je lui parle du crématorium, sans vraiment savoir pourquoi. Pour meubler, sûrement. Il me raconte des choses que je sais déjà mais je fais comme si... « Il y a un problème avec les crématoriums. Ils ne sont pas assez nombreux. Et même si un nouveau doit ouvrir très prochainement cela ne suffira pas. Pourquoi ? - il baisse un peu la voix comme s'il était en mode secret – C'est à cause d'un département limitrophe qui refuse la création de crématoriums sur ses terres et donc c'est chez nous qu'ils viennent ». Ça j'avoue, je n'avais pas cette dernière info. Enfin, c'est sa version des faits. Mais n'oublions jamais qu'une information cela se vérifie, non ?
Il termine « Voilà le pourquoi d'une telle surexploitation. Vous savez c'est la faute aux pompes funèbres de ce fameux département limitrophe ». D'après lui, ces commerçants de la mort feraient pression pour qu'il n’y en ait pas ainsi ils peuvent facturer un nouveau voyage jusqu'à leur dernière demeure. Et de conclure « Ces gens ne sont pas honnêtes, croyez-moi. Comment peuvent-ils se regarder dans un miroir ? ». Je réponds, par habitude « Vous savez c'est la nature humaine. Il faut de tout pour faire un monde ». Enfin il se lève et retourne à son bureau.
C'est fou le temps que ça lui prend pour faire deux misérables photocopies. y + x + 3 = 4 x
Le temps passe. Je ne dis rien, j'attends. J'en arrive à me demander s'il ne me prend pas pour un con mais je décide de rester en monde silence. J'hésite à récupérer mon courrier mais n'en fait rien. Si Angélique a appelé il y a des fortes chances pour qu'il lui ait communiqué mon numéro mais aussi mon ancienne adresse, celle du foyer où j'ai séjourné près de quatre ans. Je préfère ne rien faire.
Il arrive. Je remarque aussitôt qu'il s'agit du fac-similé du devis.
En fait, il a une comptabilité bien à lui ! En haut de page est noté différentes rubriques telles que Devis-Bon de commande-Facture-Avoir. Le document ainsi établi devient suivant l'usage que l'on veut en faire un devis ou une facture ou...
Il a donc sorti la photocopie du document et celle-ci est devenue une facture. Il a suffi pour ça d'entourer facture au stylo au lieu de devis. Oui, une comptabilité bien à lui !
Mais là n'est pas l'important. Il s'assied à nouveau.
Je lui propose, s'il le souhaite, de prendre la facture pour mon frère. Ça, il l'avait déjà prévu et d'ajouter « Je suis désolé mais j'ai pris du retard. J'aurai dû vous l'envoyer depuis longtemps ». Je lui dis qu'il n'y a aucun problème. Avant de nous séparer je l'informe qu'avant de le rencontrer, je me suis trompé de magasin et au cas où il rencontre ces derniers de m'en excuser auprès d'eux.
Il m'apprend qu'il a travaillé pendant treize ans avec eux avant d'ouvrir sa propre enseigne et qu'il n'y a aucun problème.
Nous nous séparons. Je m'interroge sur la sincérité du personnage d'ailleurs Henry David Thoreau me confie « En tuant le temps on blesse l'éternité ». Ai-je perdu mon temps ?
« Celui qui sait qu'il ne sait pas, éduque-le.
Celui qui sait qu'il sait, écoute-le.
Celui qui ne sait pas qu'il sait, éveille-le.
Celui qui ne sait pas qu'il ne sait pas, fuis-le. »
Proverbe chinois.
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