CHAPITRE 31
CHAPITRE 31.
Jeudi 26 avril.
« Ce n'est pas une fois la recherche achevée
que nous éprouvons de la joie,
A la recherche du lys, des factures se mettent à parler. mais pendant la recherche elle-même. »
Épicure.
J'ai retrouvé les clefs de Saint Paul ! Et en plus je n'ai même pas à y retourner.
La veille de cette journée j'ai acheté une débroussailleuse et j'ai choisi de faire le montage sur place.
En ce moment, il est vrai, que j'en ai un peu marre de tout mettre en branle à chaque nouveau chantier. En fait, le courage me manque.
J'ai prévu une journée light. Au programme, monter la débroussailleuse et couper l'herbe dans la foulée. Puis ratisser et ramasser l'herbe dans des grands sacs et direction les poubelles.
Il est un peu plus de six heures et j'apporte avec moi d'un côté la débroussailleuse et de l'autre des réserves de bouteilles d'eau. Je fais un dernier voyage pour charger la bouffe et un sac d'outils.
Arrivé devant la voiture je dépose le sac d'outils à l'arrière avec la débroussailleuse.
Sur le côté passager je stocke la bouffe et le journal. C'est la première fois, depuis plus de deux jours, que j'ouvre la voiture, et notamment la porte côté passager, et sur le tapis de sol que vois-je ? Les clefs. J'ai dû mal à y croire. A aucun moment je n'ai pensé regarder à l'intérieur de la voiture. J'étais tellement sûr de les avoir oubliées sur les marches de mes escaliers
Enfin une bonne nouvelle.
Côté météo la journée s'annonce mi-figue mi-raisin, un mélange de froid et d'humidité. Le froid et l'humidité ne sont pas mes amis. Quand j'ouvre mes volets pour prendre la température de la journée, j'ai toujours peur. Je n'ai pas oublié mes trois-quatre ans à dormir dans ma voiture. Quand je ressens cette atmosphère, oui j'ai peur. Traverser une journée dans le froid, puis une autre...
Sans aucun confort, recroquevillé sur soi-même. Je n'aime pas cette sensation mais parfois, souvent, c'est plus fort que moi et je pense à hier, pas si loin, jamais très loin « Mon dieu, tu te rappelles ? »
On n'oublie pas, jamais ! L'été pour trouver de la climatisation et l'hiver à rechercher la chaleur au sein des grandes surfaces. Moi je l'avais trouvé en me rendant tous les jours à la FNAC. C'était mon refuge. D'un côté le plaisir de retrouver les livres et aussi, et surtout, un accès aux toilettes mais également un lavabo. Enfin un brin de toilette ! Et puis ils ont fermé les WC. Et puis ils ont fermé la FNAC. C'est à cet instant, ou dans les jours qui ont suivi, que je me suis présenté dans le seul foyer que je connaissais. J'ai raconté mon histoire à un monsieur, peut-être le directeur, puis tout a été très vite. J'ai été recueilli dans un autre foyer. Quand j'ai rejoint ma chambre avec un petit coin cuisine j'avais l'impression d'avoir gagné une bataille. Pendant longtemps j'ai vécu, nuit et jour, la fenêtre entrouverte. Il y a le froid, certes, mais l'été n'est pas synonyme de fête. Je me souviens d'avoir travaillé en trois-huit – A oublier ! On ne devrait pas avoir le droit – et essayer de dormir sous une chaleur écrasante. Aussi bien la journée que la nuit. Pendant deux mois j'ai vécu tel un zombie. A la recherche d'une quelconque ombre mais souvent il n'y a pas d'ombre. Et dans la voiture des températures qui s'envolent, c'est impossible. Malgré tout, c'est le froid et l'humidité qui m'ont tant marqué. Je prends la décision de tout annuler. Je remonte la débroussailleuse et la bouffe. Je ferai le montage au chaud. J'ai bien fait, la batterie n'était même pas chargée. Et sans électricité sur place, j'en connais un qui risquait bien de s'énerver un soupçon.
Je profite de l'après-midi pour régler des problèmes personnels et me rendre au cimetière pour rempoter la plante. Outre un pot bien plus grand j'ai également apporté du terreau. J'ai même pensé à récupérer une soucoupe. Ainsi, la plante sera bien et quand la pluie tombera, la terre sera arrosée en même temps. Ils prévoient toujours des pots trop petits, c'est ainsi. Une histoire de chargement et de stockage. Ah, ce monde de l'économie !
« La vie, au fond, c'est un green de golf avec plein de trous
sur le parcours et qui finit par un trou. » Frédéric Dard.
En arrivant sur les lieux je n’ai rien remarqué. La tombe semblait en état. Pareil à la dernière fois.
Devant il y avait bien les trois plaques rassemblées pour l'occasion, le papier qui enveloppait la plante et devenu pour l'heure une soucoupe mais aucune plante. Le pot avait disparu. C'est fou, non ? Bien sûr, des vols au sein d'un cimetière cela existent. J'ai déjà entendu parler de vol de plaques, de statues mais de plantes ça j'avoue, je ne le savais pas.
J'entends dans mon for intérieur « C'est la nature humaine ». J'ai pensé un instant que quelqu'un s'en était servi pour fleurir une autre tombe alors j'ai fait l'équivalent d'une allée. A la recherche du lys perdu ! Rien. Je ne sais pas pourquoi mais j'ai pensé à la famille. Les lys sont les fleurs préférées de ma nièce. En parlant famille je m'en vais écrire à Joëlle.
De toute façon pour la leçon d'horticulture je dois bien me faire une raison.
« L'honnêteté, une vertu qui semblent d'évidence pour ceux
qui la pratiquent, et fait jeter le voile de la méfiance sur ceux
qui la revendiquent. » Philippe Delerm. Le jeudi 26 Avril.
Bonjour Joëlle,
Parce qu'il y a eu déjà bien assez d'injustices et qu'un jour il faut bien que cela cesse.
Parce que cette injustice fut notre quotidien durant toute notre enfance, il me paraît normal que les trois protagonistes de cette mauvaise histoire restent trois.
Voilà pourquoi j'ai enlevé – le virement sera sur ton compte avant l'envoi de cette lettre – cette part qui te revient et j'espère qu'Alain fera de même. Ainsi, nous resterons trois.
Je profite de ce courrier pour te dire que j'aimerais bien pouvoir te rencontrer afin d'évoquer les dernières années, les derniers jours de notre mère ainsi que notre passage devant le notaire (1)
Je te laisse mon numéro de téléphone.
Ton frère.
(1) Alain m'a dit un truc que je trouve sidérant et j'aimerais bien savoir ce que tu en penses.
Superposition : Iv = 1000 > + Iv = 2000> 1 9
-----------> --- Iv = 1000> + --- Iv = 2000>
10 10
Je n'ai jamais envoyé cette lettre. Je devais le faire.
La lettre a traîné sur un meuble et un temps j'ai même cru que je l'avais perdue. Je devais le faire, certes, mais les voix sont revenues. Ces voix, cette voix, ma voix qui résonnent encore et toujours depuis ce fameux mois de février. Le dernier jour où j'ai vu ma mère. Je revois encore la scène. Elle ne disait rien, ou presque. Et moi qui hurlais « C'est une honte ce que vous nous avez fait. Vous avez été incapables d'être des parents... »
C'est arrivé sans prévenir alors que j'allais ouvrir les yeux. Quand j'ai posé mes pieds au sol j'ai cru que c'était reparti de plus belle. Heureusement, pour l'heure, ceci se limite à quelques rares moments dans la journée. Pourvu que ces six années, avec ce tumulte constant, ne reviennent pas.
Avec ces voix est revenue la situation. Elle la tête baissée et moi hurlant mon désespoir.
C'est à cause de tout ceci que j'ai revu, peu avant mon départ, un sac plastique dans lequel j'avais vidé une partie du tiroir du buffet. C'est là qu'elle mettait ses papiers importants, une partie. J'avais par la même occasion récupéré dans ce même buffet des papiers me concernant. A cette date je croyais encore que ma mère était mon allié. J'ai oublié qui a signé cette citation dont je partage totalement les propos « On désaime aussi facilement qu'on aime. Avec maladresse ».
De retour à la maison j'ai ouvert le plastique.
J'ai récupéré mes documents, une partie des papiers du notaire de Saint Paul, également un texte, de nombreuses photos de la coupe du monde et commencé la lecture du reste. J'ai été stoppé de suite.
Le premier document était un testament pour Alain. Au dos du même document se trouvait un testament pour ma pomme, au cas où Alain ait disparu. J'ai été sidéré. Quel manque de tact.
J'ai dû lire les deux premières lignes de chaque testament puis j'ai remis ce document dans le plastique au milieu de dizaines d'enveloppes et papiers divers. Ce plastique je l'ai posé entre le buffet et le mur et depuis six ans je ne l'ai plus jamais touché.
Trop peur d'y trouver des secrets de famille. Mais là... « En famille tout se sait mais
rien ne se dit. » Jean Gouny.
Mais aujourd'hui et maintenant. A l'heure du notaire ne devrais-je pas me faire violence ?
Je pèse le pour et le contre. « Il ne faut avoir aucun regret pour le passé, aucun remords pour le présent, et une confiance inébranlable pour l'avenir » disait Jean Jaurès, pour la confiance je suis out. Et le reste ?
Si ces papiers doivent m'apprendre quelque chose c'est aujourd'hui ou jamais. Tant pis j'y vais !
Le plastique est rempli de poussière. J'ai le bras qui tremble. Sur la table de la cuisine je dépose ce dernier. Je constate qu'en fait les deux testaments, à savoir mon frère et moi, sont sur deux feuilles différentes. Je me suis trompé. Je survole les deux documents.
A l'image d'une notice explicative la mère nous indique ce que l'on doit faire et le parcours à suivre. Il faut récupérer la clef à tel endroit pour ouvrir tel tiroir puis...
Un court instant j'ai la sensation de faire un bon dans le passé. Je me suis revu enfant, peut-être entre cinq et dix ans, et ma grand-mère expliquant quoi faire une fois la mort venue.
Régulièrement avant de se séparer, ma grand-mère entraînait ma mère près du bureau de la chambre. Dans cette ancienne cité minière les logements étaient plutôt précaires. Ils avaient passé toute leur vie dans deux pièces. Une quarantaine de mètres carrés, maximum !
L'une faisait office de cuisine, avec le fourneau toujours en marche prêt à tout réchauffer et cuire le cas échéant et l'autre était la chambre. L'une profitait du fourneau, l'autre était glacial et humide.
Comme à l'époque, l'avant-guerre et un peu après aussi, les WC étaient sur le palier. Les toilettes à la turque, donc inconfortables, et quand l'hiver arrivait les courants d'air suivaient.
Et tout ça sans parler des températures. Oui, la vie était difficile. Bien sûr pas de salle de bain. Pas de frigidaire non plus ! Et encore moins de télévision.
Régulièrement ma grand-mère s'isolait en compagnie de ma mère. Nous, les enfants et le père nous restions sagement assis autour de la table.
La grand-mère prenait la direction de la chambre et notamment d'un petit bureau « Dans ce tiroir tu trouveras une clef. Avec cette clef tu pourras ouvrir le tiroir de l'armoire et puis... ».
On dirait que l'histoire se répète ! C'est quand même fou toutes ces enveloppes.
Pour une partie c'est le suivi de son assurance décès. Quand je termine toutes ces enveloppes il ne reste plus que quelques feuillets sur différents sujets et une dernière enveloppe perdue au fond du plastique. J'ouvre. Des factures. Des factures de meubles, de bijoux ou de vêtements...
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( ( V 3 + 6 a ) . --- - 5 ) : ( --- )
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Attention, instant sidération !
On retrouvait les factures de meubles tels que le buffet, la table et les étagères de cette pièce que l'on surnommait « la pièce du fond » mais aussi des vêtements achetés un prix fou. Pour exemple, une de ses vestes coûtait l'équivalent d'un demi salaire de base.
Je tombais sur la facture d'une bague, je ne me souviens plus si la pierre était un rubis ou un saphir, même montant. Tous ces achats avaient un point en commun, ils avaient été effectués sensiblement à la même période. Celle où ils sont partis visiter le Maroc, puis le Portugal – je sais qu'Alain était présent ; j'ai vu des photos notamment de lui à Lisbonne – et puis...Mais je n'en sais pas plus. Si, c'était aussi la date où ma grand-mère est partie définitivement. Le voyage faisait-il parti d'un quelconque héritage ? Et Joëlle ? Moi, ce que je sais c'est que je n'ai rien eu. Pour ma tante se fut différent : J'ai eu droit à un vase et un coffre en bois. Alain a récupéré le salon, une grande table, un vieux meuble chinois et je ne me souviens plus du reste. Et ma sœur ? Comme dirait Serge « Je n'ai rien demandé, je n'ai rien eu. » Ne suis-je pas, non pas le vilain petit canard, mais le dindon de service ? Comme une envie de détourner cette phrase prononcée par Simone Signoret « Le secret du bonheur en amour, ce n'est pas d'être aveugle mais de savoir fermer les yeux quand il faut ».
Que sont devenus ces bijoux, ces vêtements... Et le reste ?
Deux grands tapis, faits main donc très chers, manquent à l'appel et puis... « Une famille, c'est un
nid de frelons en pétard. »
Madeleine Chapsal.
Je ne voulais pas me l'avouer mais je savais, depuis ce mémorable mardi 17, que les deux pièces choisies par Joëlle et sa fille équivalaient à la somme touchée par mon frère. En réalité c'était plus mais qu'importe ! Cela ne me gênait pas. J'étais même heureux que Joëlle découvre un ensemble sommier-matelas qu'elle n'avait sûrement jamais connu. De plus cette chambre n'avait jamais servi, si une seule fois. J'y ai dormi quand elle s'est faite opérée, une nuit, pour garder le chien qu'elle avait à l'époque. J'avais demandé à Joëlle si elle pouvait s'en occuper...au moins pour le début de la soirée mais elle ne pouvait pas. Là, j'en ai voulu à ma sœur mais je n'ai rien dit. J'ai quand même montré mon mécontentement, là, devant la porte de son appartement. Je ne l'avais pas remarqué mais déjà les portes ne s'ouvraient plus. Outre l'ensemble sommier-matelas de grande qualité elle récupérait toute la chambre : le lit, l'armoire et la commode. On pourrait dire que c'était comme neuf, jamais servi !
Je me souviens de l'achat de cette chambre. J'avais argumenté pour une chambre plus belle...mais aussi plus chère. Ma mère avait préféré celle-ci, alors... Par contre elle avait pris grand soin de la qualité du sommier-matelas. Savait-elle qu'elle n'y dormirait jamais ?
Depuis des années elle dormait sur le canapé. Je pensais, sincèrement, qu'elle était heureuse à ce moment-là de cet achat. Un peu comme un départ pour une nouvelle vie, non ?
Après, conscient que ma mère ne pouvait continuer ainsi, je me suis renseigné sur les lits électriques avec potence. Je suis arrivé au bon moment. J'ai profité, dans un magasin spécialisé, des derniers lits mis en vente. Après la vente a été interdite. On était obligé de passer par un système de location. Je n'ai plus les chiffres en tête mais je crois qu'une année de location payait le prix d'achat du lit.
Peut-être deux, maximum. Ma mère l'a gardé plus de quinze ans !
Quant à la petite-fille, elle ne perdait rien au change. En effet, en valeur marchande la pièce du fond représentait plus du double que la chambre. Mais pour le reste ? Pour le frigo, la cuisinière, la machine à laver, la télévision, le lit médicalisé, le fauteuil roulant et j'en passe...
Mais si on ajoute à tout cela les bijoux, les vêtements et le reste comment appeler ça autrement que par son nom : Du vol. Un vol prémédité de longue date, presque un an.
Je refermais le plastique et le remis à sa place, entre le mur et le buffet, mais cette fois je me promettais de l'examiner très prochainement.
Là, j'avais mon compte.
« Avant de parler, écoutez.
Avant d'écrire, réfléchissez.
Avant de prier, pardonnez.
Avant de blesser, considérez l'autre.
Avant de détester, aimez et
Avant de mourir, vivez. » William.
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