CHAPITRE 29
CHAPITRE 29.
Lundi 23 avril
Un chèque plus loin, et le notaire de Joëlle.
Afin que l'entreprise puisse travailler dans de bonnes conditions, et notamment accéder au robinet d’arrivée d'eau, je dois être bien présent pour sept heures trente. La veille j'ai débarrassé, à l'intérieur des toilettes, beaucoup de livres que je stockais mais aussi pas mal de produits d'entretien. J'ai retrouvé notamment un ouvrage de la psychanalyste Gisèle Harrus-Révidivieux ainsi qu'un bouquin de Marc Aurèle. J'avais mis, chez ce dernier, en évidence un extrait « La meilleure façon de se venger d'un ennemi, c'est de ne pas lui ressembler. » C'est fort sage, non ?
Le robinet est juste derrière la cuvette et l'accès risque d'être délicat. « Quand la morale
De toute façon j'ai bien le temps, plus de deux heures d'avance. fout le camp,
J'en profite pour écrire. le fric court derrière. »
Jacques Prévert.
Je ne vois pas le temps défiler...
Un coup il est sept heures et la fois suivante la pendule de la cuisine affiche déjà neuf heures.
La bonne nouvelle c'est que je n'ai pas vu le temps passé et j'ai bien avancé, la mauvaise c'est que j'ai plutôt les boules. Ça me fout en rogne d'avoir attendu dans le vide alors qu'un rendez-vous avait été confirmé par téléphone. En plus j'ai mal aux mains, je sais, il n'y a aucun rapport. Quoique ?
A dix heures je décide de partir rejoindre la poste, afin que le courrier arrive le plus rapidement possible et vérifier, à la banque cette fois ci, si le chèque de ma mère est bien apparu sur mon compte. Je laisse un mot sur la porte au cas où « Nous avions rendez-vous ce matin sur la plage horaire 7 H 30 – 9 H 30. Il est un peu plus de dix heures et je dois partir. Je serai présent des treize heures et serai là durant toute l'après-midi. Pour info, je serai également présent demain matin ».
La banquière avait raison. Elle m'avait averti « Ceci apparaîtra dans quatre heures » Quand je pense au temps que cela prenait autrefois, ce n'était pas si vieux. Vingt ans peut-être.
A l'époque on comptait en jours, voire plus...
J'enchaîne avec la poste. Tout est déjà prêt, plus qu'à poster. Je regarde l'heure, il n'est pas encore onze heures. Un bus, qui rejoint le centre-ville, attend à l'arrêt. Je monte. Alors que je descends du bus je remarque un autre bus en train d'attendre devant son arrêt. C'est celui qui me mène au cimetière. Sans aucune préméditation je prends place à l'intérieur.
Dans le cimetière je ne croise personne. Si, quelques artisans qui travaillent en équipe.
Je suis à quelques dizaines de mètres de la tombe quand je vois un bouquet. J'imagine que c'est Guy.
Il n'a pas pu monter mais il a fait livrer des fleurs. Mon lys paraît ridicule à côté.
Je suis presque sûr que c'est Guy, il ne faut pas oublier que sans la parution sur le journal...
Je suis à quelques mètres...Ce n'est pas un bouquet ni même une quelconque couronne, non il s'agit en réalité d'une énorme mauvaise herbe qui a poussé entre deux tombes.
Je ne l'avais pas remarquée la dernière fois. Je suis déçu.
J'ai laissé cette mauvaise herbe qui au loin ressemblait à une plante, j'ai seulement arrosé mon lys.
La voix de George Sand m'accompagne vers la sortie « Le repos est un rêve, la vie un orage ».
Frédéric Chopin n'est pas loin, et cette sonate pour piano n° 2, ce fameux troisième mouvement. Cette tonalité sombre de si bémol mineur. Je l'entends, là !
« La résilience,
c'est l'art de naviguer dans les torrents » B. Cyrulnik.
A treize heures je suis de retour chez moi.
Pas de trace d'un quelconque passage de l'entreprise. Le mot à la même place. Aucun avis de passage dans la boite aux lettres. Les salops, heureusement que je n'ai pas attendu.
L'image de Marc Aurèle réapparaît et ses mots « Les effets de la colère sont beaucoup plus graves que les causes. » Jean Paul Sartre semble confirmer « La violence, sous quelque forme qu'elle se manifeste, est un échec. »
Je passe une bonne partie de l'après-midi à écrire. C’est la sonnerie du téléphone qui me ramène à la réalité. 18 H 45, je pense à Alain. Perdu ! C'est Bernadette. C'est la première fois qu'elle prend cette liberté. Mon frère doit en avoir marre que je lui manque de respect, je comprends. C'est vrai la dernière fois il me donne une info, à savoir pas de carte bleue, et moi je gueule comme un débile profond. Elle m'appelle pour me demander si je suis prêt à prendre rendez-vous avec le notaire.
« Joëlle en a trouvé un ».
Je réponds « Oui, bien sûr ». Je lui dis même de bien remercier ma sœur quant à son implication.
J'avoue être agréablement surpris mais n'en dis rien. Montaigne s'impose presque à moi « Si la vie n'est qu'un passage, sur ce passage au moins semons des fleurs. » Ce n'est pas vraiment son style, ça doit être l'âge – une certaine sagesse – cela fait plaisir quand même.
Avant d'aller plus loin, et comme je tiens le crachoir, je lui dis combien je suis désolé pour mon frère et d'ajouter « Je rentrais tout juste et quand il m'a rappelé pour me signaler le refus de la carte j'ai pété les plombs, parfois les journées sont stressantes ». Elle me répond qu'elle le lui dira.
Puis elle continue. Elle me parle de deux cent euros pour le notaire et d'un peu plus de cent euros pour chaque consultation de compte et aussi...Là, j'ai décroché.
Je reprends la parole pour leur raconter mon passage à l'assurance et à la banque, puis ce chèque retrouvé et envoyé ce matin à la poste.
Elle me dit qu'ils n'ont rien envoyé. Ils pensaient faire un virement.
« Je viens sans bagage et j'apprends – racontait l'innocent – Il n'y a rien de plus important que de savoir écouter et regarder. » Gérard Depardieu.
----------------------------------------------------------------
Entendu sur Europe 1
C'est l'heure des confessions, loin de toutes religions. Les auditeurs ont la parole.
C'est Christine. Elle a 74 ans. Il est un peu plus de minuit. C'est la libre antenne.
Christine est bavarde et pourtant dans sa voix de la tristesse, beaucoup.
Elle raconte « En 1964 la société n'était pas la même qu'aujourd'hui, c'était une autre époque. »
Elle parle de cette année car c'est l'année de son mariage et d'un choc mais pour l'heure nous n'en savons rien. Elle prévient « J'aimerais revenir un petit peu en arrière si vous me le permettez. Je suis l’aînée de la famille. Nous étions quatre filles pour trois garçons et ma mère avait ses préférés. Sur sept enfants ma mère en privilégiait trois, pour eux c'était la belle vie.
Moi, on m'a toujours appelé « La grande ». C'était mon prénom, mon nom. Ma mère m'a toujours appelée ainsi. J'étais « La grande » et mon statut faisait que j'étais responsable de tout : Du ménage bien sûr, de la vaisselle, des courses... Je n'ai jamais été envieuse mais dans ma tête d'enfant, puis d'
adolescente, je ne comprenais pas pourquoi ma sœur, plus jeune de deux ans, n'avait aucune corvée et des loisirs qui m'étaient interdits. »
« Elle en parle sans larmes, avec au fond des yeux
le poids de l'habitude du chagrin ». Philippe Delerm.
On aurait dit une nouvelle version de Cendrillon mais on avait oublié le carrosse dans l'histoire.
Pas de prince non plus ou alors pas le bon. Elle l'a fait comprendre à demi-mots comme si cela n'avait rien à voir avec les faits. « Vous savez à cette époque les enfants allaient à l'école jusqu'à seize ans après, pour nous les filles notamment, on attendait celui qui allait nous marier » Christine est partie à dix-huit ans. Elle poursuit « Pour moi, un mariage c'est important. Nous habitions un petit village, trois cent âmes environ, et quand il y avait un mariage, ce qui n'était pas si fréquent, c'était la fête ! Chaque fois que cela se produisait les mariés défilaient, elle, dans sa belle robe blanche et lui dans son beau costume et tout le village se retrouvaient dans l'artère principale du village pour assister au défilé. »
Aujourd'hui, c'est son tour.
Elle rêve d'une belle robe blanche et puis de défiler à son tour dans cette belle rue principale.
Elle s'y voit déjà « C'est si beau ! »
Sa mère ne partageait pas son enthousiasme. En un mot elle n'était pas d'accord. Elle s'est mariée en tailleur et cette dernière de lui dire « En sortant de l'église nous ne remonterons pas par la grande rue mais nous couperons à travers bois et emprunterons ce petit chemin en terre. »
Alors tout le monde a suivi.
Un paysan, quelques jours avant l'événement, lui a proposé, de bon cœur, de lui prêter sa grange pour le repas et la fête. Christine et le prince ont dit « oui »
Pour Christine « Malgré tout c'était une belle journée » Parfois dans son discours elle semblait accorder de l'importance à des choses qui semblaient futiles et pourtant il faut savoir lire entre les lignes... Son repas, elle nous l'a expliqué « Il y avait une salade de riz avec des œufs et des tomates, des asperges en boite et un rôti qui était resté plus longtemps que prévu sur le feu. - J'ai oublié pour le dessert. - Dans cette grange nous nous sommes retrouvés autour d'une table. C'est dommage, nous n'avons pas pu danser car la grange n'était pas reliée à l'électricité. »
Pour Christine « Malgré tout, c'était une belle journée. »
Bien sûr qu'elle regrettait pour la robe blanche et le défilé mais c'était la vie.
-----------------------------------------------------------------
Deux années se sont écoulées.
-----------------------------------------------------------------
Depuis le départ de « La grande » c'est son frère, le troisième, qui l'a remplacé. Il lui a raconté ceci plus tard, sans jamais se plaindre, comme si cela était normal.
Sa sœur, plus jeune de deux ans, s'est mariée à son tour. « La grande » a été invitée.
Sa sœur avait une très belle robe de marié puis ils ont descendu l'artère principale.
« Comme c'était beau » pensa Christine.
Le reste de la fête a eu lieu ailleurs « Ma mère avait loué la salle des fêtes de la grande ville d'à côté. La fête a duré deux jours. Il y avait un traiteur et même un orchestre pour danser... »
Cette nuit-là, Christine ne voulait que parler. L'avait-elle déjà dit à d'autres ?
Parfois « les souvenirs ça t'as une de ces gueules »
Moi, je pensais à cette robe blanche et ce défilé et puis à ces asperges, en boite.
Pour moi « cette belle journée » m'a semblé bien triste.
Mais Christine voulait seulement en parler.
Parfois, même « avec le temps », la pilule a du mal à passer, non ?
Ce que l'on demande aux enfants ne sont souvent,
ou bien souvent que les caprices des parents.
Dans chaque adulte
1 victime de mauvais traitements
se cache un petit enfant terrifié et impuissant.
3 5
Les parents manipulateurs cachent leurs motivations
7 9 11 et ainsi les enfants se retrouvent dans un monde de confusion.
13 15 17 19
21 23 25
Commentaires
Enregistrer un commentaire