CHAPITRE 25

DEUXIÈME PARTIE « A la gal'rie j' farfouille dans les rayons d' la mort... » Les trois derniers mois de l'histoire en cours sauf les trois premiers jours qui ont été engloutis lors de la première partie. « Quand des personnes se retrouvent condamnées par d'autres, sans autre forme de jugement, elles sont déstabilisées. Ces gens que l'on condamne ainsi tombent des nues, elles ne réalisent pas tout ce qui leur arrive... Ces gens-là se défendent toujours mal car elles ne comprennent pas... Et souvent, tout ce qu'elles disent se retourne contre elles. » Marc G, avocat pénaliste. CHAPITRE 25. Mardi 17 avril. (Où l'on reste désormais dans le deuxième acte) Quand l'histoire s'arrête, et la mère aussi. « La naissance est le miroir de la mort. » Bruno Lagrange. Je me réveille, à six heures, en sursaut. C'est bien plus de temps qu'il ne me faut. Le temps notamment de me raser, de me doucher et de trouver ma tenue. Je change de chaussures également, les miennes me semblent un peu usées. Je regarde les informations à la télévision tout en déjeunant. Il n'est pas sept heures et je suis fin prêt. J'attends sept heures trente-cinq pour quitter mon appartement. En fait, nous sommes à moins de cent mètres à vol d'oiseau mais ça, normalement, personne ne le sait. A sept heures quarante-cinq je suis devant l'immeuble. Je fais les cent pas. A sept heures cinquante, Bernadette et Alain arrivent. On s'embrasse du bout des lèvres. La voiture est devant, on monte. Un silence s'installe. J'essaye d'engager la conversation mais très vite je me rends compte...Parfois ils parlent tous les deux et parfois pas. Et moi quand je parle c'est comme si je parlais de la fonte des neiges à un touareg. Ils me font penser à un vieux couple. Je me dis que c'est toujours mieux qu'à l'époque. En effet, chaque fois que je les croisais, cela a dû se produire trois ou quatre fois, on avait droit à deux personnes qui ponctuaient toutes les fins de phrases par « Hein chéri... » « Hein chéri » C'est joli mais là c'était à la limite du raisonnable. Au bout de cinq minutes c'était déjà insupportable alors imaginez plusieurs heures. Moi, quand j'assistais à cela je ne pouvais m'empêcher de penser « C'est la rencontre de deux solitudes. Deux personnes restées trop longtemps sans amour et qui part dans un certain excès » « On ne change pas. On met juste les costumes des autres et voilà... On se donne le change, on croit... » JJ Goldman. J'ai l'impression d'être un colis que l'on transporte. « La solitude ne vient pas de l'absence des gens autour de nous, mais de notre incapacité à communiquer les choses qui nous semblent importantes » déclarait Carl Gustav Jung. Il n'est pas huit heures quinze et nous sommes déjà sur place. Mon frère me dit qu'il préfère être en avance. Je lui fais remarquer que je fais souvent de même « et puis, de toute façon, nous avons bien le temps ». Huit heures cinquante, Bernadette et Alain s'impatientent. Comme ils avaient déjà repéré les lieux, c'est vrai que s'est excentré de la ville, et que nous nous sommes trompés de direction plusieurs fois je leur dis qu'ils doivent être en réalité tout proche, sans doute en train de tourner. Huit heures cinquante-cinq, arrivées de trois ou quatre voitures. Je cherche la voiture de Guy. Une vingtaine de personnes sortent des véhicules et foncent sur nous. J'ai dû mal à reconnaître qui est qui notamment les deux garçons de Joëlle et leurs nouvelles compagnes. Le nouveau compagnon de ma nièce et les enfants présents. Personne ne se présente vraiment, on s'embrasse c'est tout. Dans la foulée j'embrasse Angélique alors que j'avais prévu de lui serrer la main. Par contre son frère Teddy, le plus jeune et dont normalement je suis le parrain, je lui serre la main. Je n'ai pas oublié sa traque pour confirmer mon adresse dans un foyer de travailleurs. Je demande à Joëlle et à sa fille pourquoi elles ne m'ont pas écrit à Saint Paul pour m'avertir. Réponse : « Pas de téléphone pour me joindre ». Je demande si elle a souffert. « Oui les derniers jours, les trois derniers surtout ». Je demande pour Guy. « Il a laissé un message pour dire qu'il ne viendra pas, il est désolé. » Angélique ne semble pas convaincue par ses excuses. Je voudrais demander encore plein de choses mais un homme arrive d'un air décidé. « La mort est un manque de savoir-vivre. » Alphonse Allais. 51 Pegasi b (95) gaz, 3M -WASP–12 b rot1,9jour t2525K -WASP–121(7 métaux) -WASP–127 b 1,3 Nous entrons dans une salle à la lumière tamisée. Le cercueil est là. C'est juste avant la fermeture définitive de ce dernier. Je suis à côté d'elle...Et je ne reconnais pas ma mère. J'ai honte. Un visage bouffi, des cheveux sales et beaucoup trop long. Et cette bouche entrouverte... Depuis ma naissance et jusqu'à encore cinq ans j'ai toujours connu ma mère avec les cheveux très courts. « Bien dégagés derrière la nuque » diraient certains. Aujourd'hui, c'est un choc. Outre des cheveux sales, ces derniers lui arrivent au milieu du dos. Plus bas même. Depuis combien de temps n'a-t-elle pas croisé de coiffeur ? A raison d'une pousse d'un centimètre par mois, je ne suis sûr de rien... Je préfère ne pas faire le calcul. Pourtant je sais avec certitude qu'elle n'a jamais fréquenté le salon de coiffure ni même la version « A domicile » de cet institut. J'ai honte ! J'imagine ma mère, seule, en train de se peigner. Des cheveux si longs, tellement longs. Ça devait être tout bonnement impossible ? Merde ! Pourquoi personne ne l'a fait ? Et même avec une simple paire de ciseaux. C'est fou, non ? C’est combien une coupe dans ce style d'établissement ? Même cinquante euros, c'est quoi cinquante euros ! Rien. J'ai envie de dire « Il n’y a pas eu de pitié ! » 1 9 – 3 : --- + 1 = Angélique glisse une photo à l'intérieur du cercueil. 3 Elle demande à l'homme en noir de récupérer une bague en souvenir. On voit l'homme de la cérémonie batailler pour la récupérer. Ou plutôt les récupérer. Chacun semble muré dans son silence. On referme le cercueil. Je suis le premier à sortir. Angélique me suit, elle pleure. Je reste à l'écart, dans mon coin. « La vie est l'expérience prolongée d'une solitude à Les autres arrivent. l'intérieur de laquelle on se sent libre. » Rendez-vous à l'église. Jean-Paul Einthoven. Pendant le voyage du retour l'ambiance n'a pas changé. Je m'y risque quand même en soulignant ma surprise quant à Guy. Alain me répond avec beaucoup de sagesse « Tu sais il va avoir bientôt soixante-dix ans peut-être est-il malade ou sa femme ? On ne sait pas ». C'est vrai, il a raison, sûrement. Guy avait tellement dit qu'il serait là que c'était devenu telle une évidence. Dans la voiture je regarde ce classeur sur la coupe du monde. Angélique me l'a proposé sur le parking, en souvenir. Au début j'ai refusé et puis... J'ai accepté sans vraiment savoir pourquoi. Mon seul souvenir de toutes ces années. Par désordre : dS>0 Il est dix heures trente quand nous pénétrons dans l'église. Comme j'ai laissé passer devant moi les gens, et que tout le devant est occupé, je prends place en retrait. C'est Bernadette qui vient me voir pour me dire d'inverser les rôles. Je me retrouve entre Joëlle et Alain. Merci Bernadette. Une dame de l'église rappelle la vie de la défunte. Chacun à son livret, « alors on chante ». Angélique montre à Alain la page pour trouver la bonne chanson. Nous sommes au total quatorze personnes et peut-être trois ou quatre à essayer de chanter. Mon frère et ma sœur ne chantent pas. Puis Angélique lit un texte. Elle semble très émue, elle pleure. Elle rappelle qu'elle était sa meilleure amie, sa confidente. Leur point commun quant à la bouffe. Elle raconte même que pour ses anniversaires elle lui achetait du comté – C'est cher le comté, non ? - au lieu de lui apporter des fleurs. Bizarre, je suis au courant d'une histoire de fromage mais ce n'est pas du tout la même finalité. De toute manière je ne dis rien, je constate seulement. « L'hypocrisie est un vice à la mode et tous les vices à la mode passent pour vertu. » Molière. Puis elle rappelle que la mère n'aimait pas l'hypocrisie. Là j'ai eu comme un hic ! Peut-être ne connaissait-elle pas la définition de ce mot ? L'hypocrisie a toujours été le terreau qui les a nourries toutes les deux. Malgré tout je trouve ce texte presque émouvant. La voix du grand Jacques a résonné à travers les chansons « Ne me quitte pas » et « Quand on a que l'amour ». On a prié. Puis on s'est retrouvé sur le parking de l'église, chacun a récupéré son automobile. Prochain rendez-vous à quatorze heures pour la crémation. Je décide de partir à pied, il est un peu plus de onze heures. Alain m'informe que si je le désire, après mangé, il m'emmène pour la suite des événements. Comme c'est à l'autre bout de la ville et que je ne connais quasiment pas ces quartiers, j'accepte. Rendez-vous est fixé à treize heures. Avant de véritablement disparaître Angélique me demande une chanson que ma mère aimait. Je cherche. Je me souviens de Herbert Pagani, de Julien Clerc et de Serge Lama notamment avec « Une île ». Elle me dit que Joëlle avait pensé à Édith Piaf ou Mireille Mathieu, je ne jugerais de rien. Alain n'avait pas d'idée. « Les familles c'est comme les icebergs, il y a une partie immergée que l'on ne voit jamais...sauf pour les enterrements. » Hervé Giraud. Je rentre chez moi. J'ouvre le frigo, prends un ou deux trucs à grignoter - pas la force de réchauffer, même au micro-ondes – et recherche des titres dans mes CD. J'écoute Aznavour, Brassens... Je tombe sur Cali avec « Je sais » : « Je sais les longues nuits à courtiser la mort/ Pendu aux mots blanchis à la chaux du remord/ Je sais qu'à trop se retourner on tourne le dos au bonheur/ Et je sais que la pluie ne lave rien du tout/ Qu'elle aide juste notre ennui à tenir jusqu'au bout... » C'est très beau, bien sûr, mais encore une fois je suis à côté de la plaque. Elle m'avait demandé une chanson qu'elle aimait et moi j'arrive avec mon ressenti face à un tel cataclysme. Je repars il est midi trente-cinq. J'apporte Cali avec moi et de quoi l'écouter. J'écoute Cali sur le trajet qui me mène vers mon frère. Et, sans fin, ce même morceau. 2 Midi quarante-cinq. log (100) ) = 2 → 100 = 10 Je m’assieds sur une borne et j'écoute toujours en boucle le même titre. 10 Midi cinquante, Bernadette et Alain arrivent et comme je leur tourne le dos c'est la main de mon frère qui me fait réagir. Direction la voiture. En route je leur dis que je suis étonné qu’Alain n'ait pas pensé à Goldman car ils s'étaient rendus ensemble à l'un de ses concerts. Bernadette répond « Ben, on n’y avait pas pensé. On pensait plutôt à des vieux chanteurs ». Alain confirme. Treize heures à peine passées, on se gare. Presque une heure à attendre. Je leur fais écouter le morceau, Bernadette dit seulement « C'est beau mais c'est très triste. En même temps Angélique voulait un titre triste ». Je leur dis pour Serge Lama avec « une île », je crois que ceci ne leur fait ni chaud ni froid. Je décide de « visiter » le cimetière, au hasard des allées. J'y retrouve des personnes nées après moi et déjà mortes. Des jeunes enfants, des gens de seize, vingt-quatre ou trente-sept ans. Des tombes non renouvelées ou abandonnées en l'état. J'ai le moral à zéro. Bernadette et Alain ont trouvé un banc à l'extérieur du cimetière, ils sont là. Moi je traîne sur le parking pour l'heure. La vue, dos au cimetière, est belle mais je m'en fous. Pourtant d'ici on domine une grande partie de la ville et notamment son centre-ville. Régis Jauffret agrandit le cadre et extrait d’ « Univers, univers » il observe « Quand on va trop vite, on laisse tomber tant de détails que l'histoire n'a pas le temps d'apparaître, les personnages courent tout droit au tombeau comme des assoiffés à la buvette ? » Enfin les voitures arrivent. Je fais écouter Cali à Angélique et son compagnon. Je pense qu'ils ont compris que je faisais fausse route mais que par gentillesse ils n'ont rien dit. Angélique a seulement ajouté « C'est tout à fait de circonstance mais on ne peut plus toucher à la liste. J'ai fait ajouter « Mon île ». Elle me dit la chanson qu'elle a choisie, c'est plein d'amour. Elle m'explique. Un jour, en voiture, il passe à la radio le titre « Parce qu'on est vieux et con ». Angélique change de station et la mère de dire « Pourquoi tu changes ? C'était bien ça ». Depuis c'est la sonnerie qu'elle a choisie lorsqu'elle appelle. Enfin, quand elle appelait serait plus juste. Elle expliquera, plus tard, sur la scène avec son cercueil à ses côtés la chose aux autres. On écoute les titres, on se recueille. On passe une dernière fois devant le cercueil. Certains font le signe de croix. Angélique et sa mère embrassent le cercueil. Je suis à la fin. Je suis même le dernier. Je fais le signe, par mauvaise habitude, porte ma main à mes lèvres et pose ma main sur le cercueil. « Une île » retentit alors que des gens emportent le cercueil. Changement de décors. On se dirige vers une autre pièce. C'est un peu comme un cinéma, en plus petit. Sur l'écran, le cercueil en gros plan. Un homme surgit et pousse le cercueil dans ce grand feu, à peine vingt secondes se sont écoulées. Je pensais que l'on verrait les flammes, mais non. « Grandir, c'était arrêter de rêver, abandonner ses croyances d'enfants, revoir ses ambitions à la baisse. » Marilyse Trécourt. De retour dans la voiture je dis encore une connerie en déclarant « Je ne suis pas sûr que ce soit si nécessaire d'être présent ». Je sens la gêne de mon frère puis il précise « Avant on voyait les flammes mais certains étaient trop choqués. Certains voulaient même se jeter dans les flammes ». Ah bon, dis-je, je ne savais pas. Il me demande où il doit me déposer. Comme je viens de donner les cinquante euros que je possède pour participer aux fleurs, je lui demande si c'est possible à la banque, c'est juste à côté de chez eux. En partant je les remercie chaudement et leur donne rendez-vous directement au cimetière. Mon frère dit « D'accord, à toute à l'heure ». Il est quatorze heures trente, le prochain rendez-vous est un peu avant dix-sept heures. Je marche sans vraiment de but précis. Je prends un bus, puis je marche et je reprends un bus... J'attends un nouveau bus qui lui me mènera jusqu'au cimetière mais comme nous sommes pendant les vacances scolaires il faut s'armer de patience. Ça tombe bien, du temps j'en ai. Je repense à la mère. A Angélique qui s'est occupée de tout avec l'aide de sa mère, de ses frères et de son nouveau compagnon. Je ne sais même pas son prénom, je ne l'ai pas mémorisé. Christophe, peut-être ? J'ai demandé, si comme ma mère l'avait toujours dit, elle s'était occupée de tout depuis longtemps. Et là, la douche froide. Angélique déclare « Tu as dû recevoir une lettre de la GMF avec un chèque à l'intérieur ». Je réponds non, du tac au tac. Je dis cela sinon je serais obligé de dire que j'ai reçu cette lettre mais que je n'ai lu que le début et expliquer pourquoi cette enveloppe est restée dans ma voiture à Saint Paul. Expliquer le contrôle technique, l'assurance... Je n'ai pas envie qu'ils sachent ma vie. En réalité j'ai été tellement « perturbé » par cette annonce que j'ai bien récupéré mon sac mais j'ai laissé le courrier sur le côté passager. Je vais être obligé de retourner là-bas. Je ne m'en sens pas le courage mais ai-je le choix ? Elle m'apprend « Que seuls mon frère et moi avons hérité à hauteur de cinquante pour cent ». Je dis ma surprise. Et pourquoi pas Joëlle ? Et elle ? Elles répondent qu'elles n'ont droit à rien. Je trouve ce système bête. J'ai honte, au plus profond. En fait je comprends rapidement qu'Angélique a engagé les frais d'obsèques. Elle a tout pris en charge: Des papiers administratifs aux chambres réfrigérées, du déroulement de la journée au cercueil et tout le reste. Le tout est revenu, pour l'instant, à environ 4000 euros. Alain a quant à lui résolu le problème. Il ne s'est occupé de rien. Il a seulement dit « qu'il reverserait le chèque sur son compte ». A mon avis, si chèque il y a, ce sera la même finalité. J'ai envie de résumer par une humiliation pour ma sœur, Alain et moi comme convoyeurs de fonds et Angélique pour chapeauter le tout. Ça devait-être ses dernières volontés, je pense. Une sécurité... « J'aurais voulu faire une plaque mais je n'ai plus assez d'argent. Pour la couronne et les fleurs j'étais toute seule aussi ». Putain de famille ! J'ai appris que ma sœur a payé la messe, deux cent euros pour une heure. Qui dit mieux ? Merci l'église ! Bien sûr que c'est une honte mais quoi faire d'autre ? Aujourd'hui j'aurais beaucoup appris et je sens que ce n'est peut-être pas fini. 299 792 458 m / s A Vérifier désordre : J'arrive sur place, je suis le premier. S = K_b log (z) Je vais voir la tombe. S = K log W La pierre a été enlevée. Les plaques sont à terre. « Argile du passé que l’aujourd’hui sculpte Un petit trou a été creusé pour recevoir l'urne. À son gré. Et n'a jamais fini. » JL Borges. Je ressors du cimetière. Comme toujours à l'approche des cimetières, des boutiques fleurissent pour l'occasion. Et comme je suis très en avance je regarde les différentes plaques dans différents commerces. J'en ai vu une plutôt belle. Je me renseigne pour une photo en médaillon chez un autre commerçant. Quand je quitte cette dernière boutique j'aperçois mon frère. Les autres arrivent. Je demande aussitôt à ma sœur de venir voir cette plaque où l'on pourrait mettre : A mes parents. A ma mamie. Elle s'est être très disponible mais là elle m'arrête net « Ce n'est pas une plaque comme ça – et de poursuivre – Comme on ne peut plus inscrire de nom sur le monument il faut une plaque avec un oiseau, son nom et les dates de naissance et de mort ». « Ah bon, je ne savais pas, et pourquoi un oiseau ? » Angélique arrive sur ces entrefaites « C'est quand tu étais petit. Tu devais être en colonie. Un oiseau mort dans sa cage et la peur de ma mère face à ma réaction ». J’ai dû mal à comprendre. Il faudra que je lui redemande. De toute façon j'ai promis de la rappeler dans quelques jours. On change de sujet : On parle de mort. Joëlle m'apprend qu'elle veut être enterrée avec ses grands-parents et Angélique me demande si je souhaite toujours une tombe sans pierre tombale, juste du gravier pour tout décor. J'avais oublié ceci. C'est vrai que dernièrement, un peu plus de cinq ans quand même, on avait parlé de cela mais par la suite j'avais aussi évoqué l'incinération. La réalité, c'est que je m'en fous ! Moi, comme le faisaient certaines ethnies, je choisis un drap pour recouvrir le corps et un trou. Et pour le trou je donne le choix à qui veut. Résultat des obsèques, un drap et une pelle. Et un peu de sueur en guise d'adieu. Je pense, parfois, comme Montesquieu qu’« il faut pleurer les hommes à leur naissance, et non pas à leur mort » « Tu sais, dans la vie il n'y a pas de personnes coupables seulement des personnes souffrantes. » Lise Bourbeau. L'urne arrive, tel un cercueil. Nous nous retrouvons devant la tombe. Nous nous recueillons. Comme personne ne souhaite déposer l'urne, je remarque, il me semble, un petit problème quant à l'urne mais je ne dis rien, c'est un monsieur du cimetière qui s'en occupe. Un dernier au revoir, un dernier adieu. On remet à Angélique les actes de décès. D'un côté un petit tas d'originaux et un autre tas en copie. Angélique s'interroge. Elle demande à Alain quel tas elle doit nous remettre. Les documents sont chacun à l'intérieur d'une pochette et sur ces dernières rien n'est noté. C'est bizarre ! Il lit à travers...Non, il ne sait pas. C'est bien la première fois que je vois Angélique demander quelque chose à mon frère, j'en suis presque étonné mais je n'y accorde pas plus d'importance. Peut-être que leurs relations ont changé ? C'est vrai, j'ai été absent si longtemps. Treize ans plus cinq ans, presque vingt ans ! On pourrait croire à une sentence de prison. Vingt ans et c'est du ferme ! Vingt ans et seulement trois rencontres avec toute la famille : Un anniversaire et deux mariages. Alain indique ce tas donc elle me remet une copie. Il y a comme un hic, quand même ! Je me dis que si je dois me rendre à la GMF ce n'est pas sûre que cela marche, mais je ne dis rien. A la sortie du cimetière, alors que les familles se retrouvent autour d'un verre, on parle sur place des maisons de retraite. De ses passages à l'hôpital, d''une maison de repos, des retours à la maison, de chute dans les toilettes, de chambre individuelle... Joëlle, Angélique et David – Teddy n'est pas réapparu après l'église – m'inondent d'informations, de dates, j'ai dû mal à tout comprendre. Ça va si vite, trop vite. Joëlle, au bout d'un moment, dit qu'elle doit aller faire des courses et oui la vie reprend, normal ! Alain rigole avec je ne sais plus qui, un rire franc et massif. En réalité, je n'ai pas voulu voir avec qui il échangeait comme je n'ai pas voulu voir ce sourire que ma sœur partageait alors qu'Alain nous proposait son rôle d'illusionniste. Alain, je ne l'ai jamais vu pleurer de toute ma vie, c'est un roc. Je dis adieu à tout le monde, on s'embrasse comme pour l'arrivée. J'ai envie de dire « Allez, rendez-vous à jamais ». Alain propose de me ramener. J'hésite...Et puis j'accepte. J'ai mal aux jambes. Dans la voiture je lui parle de Joëlle « C'est fou, non ? ». Il me répond « Tu sais - parlant de la mère – les gens on croit les connaître et puis... ». Il devient vraiment de plus en plus philosophe. Il a raison, comment prétendre connaître les autres, alors que chaque individu est un tissu de contradictions. Miguel de Unamuno confirme « Nous ne vivons que de contradictions et pour des contradictions : La vie est tragédie et lutte perpétuelle sans victoire et sans espoir de victoire. Elle est contradiction ». Ce sont les bases de notre philosophie et elles nous viennent notamment de cette inscription gravée au fronton du temple d’Apollon à Delphes et que Socrate avait choisie pour devise « Connais-toi toi-même » Tout d'un coup j'entends la voix de mon frère « On te laisse là ». Je suis perdu dans mes pensées. J'essaie de me rassembler, c'est dur. J'ai juste le temps de dire « Merci, j'attends ton coup de fil ». En effet Joëlle a remis à Bernadette le dossier et le testament. Bernadette doit me faire des photocopies. Moi, je suis là, bêtement, à attendre. Je ne pense pas que ce soit la meilleure stratégie mais je ne dis rien. Dommage, on aurait pu y aller ensemble, hélas il n'y a pas eu d'invitation. Je descends alors que le feu est au vert depuis bien longtemps. Je m'excuse et les remercie. Il est un peu plus de dix-huit heures, je suis crevé. « La vie ce n'est pas seulement respirer. C'est aussi avoir le souffle coupé. » Alfred Hitchcock J'attends le bus qui doit me ramener car je n'ai pas le courage de faire tout le chemin à pied. Je me dis que ma dernière côte me suffira largement, non ? Tout d'un coup, en attendant le bus, je ne retrouve plus mon téléphone. Je cherche dans toutes mes poches, rien « Ce n’est pas vrai ». Mon téléphone, non seulement c'est le seul moyen de me joindre, je pense notamment à Alain, mais c'est aussi et surtout ma montre, mon réveil, mon agenda... J'ai fait toutes mes poches, plusieurs fois, rien. Tant pis je rentre chez moi...Il me reste un infime espoir. Du temps de midi j'ai changé de blouson, on se serait cru en pleine été, peut-être est-il resté dans ce blouson-là ? Je n'y crois guère mais je me dois de rester positif. Je remonte chez-moi et ma côte de plus de deux cent mètres... Mes escaliers, la porte, je fonce. Rien, rien dans les poches et rien ailleurs « Merde, merde et re-merde ». J’hésite. Mon seul et dernier espoir serait qu'il tombât sur le siège de la voiture. C'est possible ! Mais, là, je suis complètement mort, vidé. Je me dis que je fais attendre demain. Puis je change d'avis, j'ai trop hâte de savoir. Pour rejoindre l'appartement de mon frère c'est facile, pas de côte mais des escaliers. Toutes les vingt marches, deux mètres de plat et c'est reparti...Je ne les ai jamais calculées tellement elles sont nombreuses. Au départ ils sont en descentes, c'est le retour qui est épuisant. Alors à chaque fois je préfère faire un détour et finir par ma fichue côte. Je sonne à l'interphone. « Oui, c'est moi. J'ai dû oublier mon téléphone dans ta voiture ». « Tu crois - il hésite - je descends ». Pendant ce temps je retourne vers la voiture. Ma première expérience, avant que j'appelle, n'a pas été très concluante. Je change d'angle, et donc de côté. Je ne suis sûr de rien mais je crois voir mon téléphone, au moins que ce soit autre chose. Il franchit la porte, il est un peu plus de dix-neuf heures. Il s'est changé. On dirait le bas d'un jogging avec un maillot ras le cou. Quand il arrive à ma hauteur je lui dis, presque soulagé « Je crois qu'il est là ». Il déclenche la sécurité des portes du véhicule et alors que je pensais qu'il allait vérifier par lui-même, il attend. Je plonge à l'intérieur et découvre ce fameux téléphone et par la même occasion ma paire de lunettes. Je le remercie et en même temps je suis sidéré, de près je constate qu'il est en pyjama. La nuit n'est même pas tombée. Il referme la voiture et tout en se dirigeant chez lui il me salue de la main, l'air las. J'ai l'impression de le saouler, de le fatiguer. Il me salue, sans vraiment se retourner. Presque envie de dire « A la Columbo ! » Sans parole, la main envoyée en l'air et tout est dans ce geste. Il a dû trop me voir en une seule journée, je comprends. « Si je me mets à la place de l'autre, L'autre où est-ce qu'il se mettra ? » Je rentre, cette fois ci, définitivement chez moi. Lacan. Quand j'ouvre la porte de l'appartement je suis en nage. Je suis exténué. Il est environ vingt heures. La première chose que je fais c'est ouvrir le frigo et me servir un grand verre de jus de pomme, après je grignote...Sans fin. Je décide de regarder la télévision afin de me changer les idées. Le problème c'est qu'aucun programme ne me séduit. Je zappe, et je zappe et je re-zappe... Impossible de fixer mon attention. Je pense à Alain... Ce matin, alors qu'on allait monter dans la voiture, je l'ai trouvé bien habillé. Il semblait bien dans ses vêtements. Ses chaussures semblaient elles aussi très confortables. Pourtant lors de la cérémonie du cimetière j'ai vu, sans le vouloir vraiment, une de ses chaussures attachées avec de la ficelle. Non pas un lacet qui aurait été remplacé à la hâte mais une ficelle qui faisait le tour par-dessus et par dessous pour maintenir la semelle. Lui, le look il s'en fout ! Mais de là...en même temps Bernadette est son fidèle miroir…Elle s'habille comme « Personne » ! Plusieurs fois je les ai croisés en ville. J'ai souvenir d'un pantalon vert usine – Vous l'auriez donné à un pauvre qu'il ne l'aurait jamais récupéré – Un vert sale et normalement immettable. D'un maillot à rayures et d'une veste à carreaux...Bonjour le mariage ! Immettable disais-je ! Et pour couronner le tout, ce même tout posé sur une tête avec des cheveux sales. Le seul point commun avec Angélique. Je pense à Joëlle et son futur enterrement avec les grands parents. Je pense à Angélique : L'histoire de l'oiseau, l'engueulade, ma mère m'a-t-elle demandé ou non et pourquoi ne pas m'avoir prévenu ces quinze derniers jours ? Je pense à ce déménagement, la lettre sans date de ma sœur. Je pense trop, c'est sans fin, certains préféreront abyssal. A minuit je me force à aller me coucher ; J'écoute, sur France Inter, la rediffusion de « Par Jupiter » A une heure du matin je change de radio. J'entends mais je n'écoute pas vraiment. « Mourir, c'est enterrer tout le monde Vers deux heures je m'endors enfin. en une seule fois » DP « Je me suis assise et j'ai pris ma tête entre mes mains. Je rêvais de pouvoir la dévisser, de la poser par terre devant moi et de shooter dedans pour l'envoyer valdinguer le plus loin possible. Tellement loin qu'on ne la retrouverait plus jamais. Mais je ne sais pas shooter. Je taperai à côté, c'est sur. » Anna Gavalda. A quatre heures je me réveille en sursaut. J'essaye de me rendormir. A cinq heures je suis debout, la journée promet d'être longue. Je pense, j'espère, que Bernadette et Alain appelleront ce mercredi après dix-sept heures. J'aimerais bien ! De toute façon j'ai prévu de dormir assez tôt pour me rendre, demain et en bus, à Saint Paul. Cela veut dire, réveil à six heures. Je verrais si je le sens de ramener la voiture. Je pourrais ainsi davantage profiter de la journée. Il faut dire que durant toute la semaine, ce fut l'été avant l'heure. Pas une pluie à l'horizon, soleil omniprésent et températures entre vingt-six et vingt-huit pour l'après-midi. Un seul problème, je n'ai pas le moral et ne sais par où commencer. Je me dis, à l'exemple d'Albert Einstein, que « La vie c'est comme une bicyclette, il faut avancer pour ne pas perdre l'équilibre ». Qui vivra, verra, dit-on, non ? In ( 10 – N ) = In ( 10 ) + In (N) = 2,303 + In ( N ).

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