CHAPITRE 21
CHAPITRE 21.
Novembre, l'année précédente.
(toujours pendant l'entracte)
Quand la maison revient au centre de l'histoire, le retour.
Je ne sais pas si les HLM ont le monopole de cette façon de travailler mais comme chaque année, à la même période, on nous demande notre présence pour un entretien de plomberie, chauffe-eau et là en l'occurrence pour le passage d'une entreprise de désinsectisation.
Et comme toujours la sanction tombe. Présence obligatoire le mercredi 22 entre 7 h et 15 heures.
Afin que cette opération soit la plus efficace possible, notre présence est indispensable à cette date.
Honnêtement, il n'y a pas comme un hic !
Encore une fois, au risque de me répéter, ce n'est pas du foutage de gueule, non ?
L'opération prend moins de deux minutes, c'est toujours pareil. Trois pitchs dans la cuisine, trois dans les WC et trois dans la salle de bain. On suit ainsi les canalisations et autres tuyaux et merci et au revoir. Je bloque ma journée ou pas, j'hésite. Je pars ou j'attends ?
Je décide de couper la poire en deux : J'irai faire mes courses le matin et je serai présent vers midi.
L'homme arrive en tout début d'après midi. La tension monte d'un ton.
J'avais totalement oublié que lors de notre dernière rencontre les choses avaient dégénéré. Je l'avais accusé de m'avoir dérobé un relevé de banque lors de sa dernière venue. Il s'était défendu et après ma signature confirmant la bonne tenue des travaux il m'avait dit « Je note votre nom, monsieur, et sachez que j'en référerai à qui de droit ! ». A cela j'avais répondu, du tac au tac « C'est ça connard et n' hésite surtout pas ! ». Donc j'ouvre la porte et je lui dis même bonjour. Silence.
Il s'engouffre dans la cuisine, les WC, la salle de bain, me tend sa feuille et disparaît.
Résultat du chrono : Moins d' une minute ! Il n'a pas prononcé un seul mot. Je réfléchis.
Cet homme me hait, et il a peut-être de bonnes raisons, le plombier idem quand au réparateur du chauffe-eau ce serait trop long à expliquer mais la tension de ce jour n'est rien comparée à ce jour mémorable. J'ai presque tous les voisins contre moi, pareil pour Saint Paul. A cela ajoutez les relations professionnelles puis avec Pôle Emploi puis avec les instituts de formation... Ma mère, mon frère et le reste de la famille. Mon médecin traitant...
Alors oui je m'accuse. Je suis asocial à souhait ! Bon, c'est vrai aussi que j'ai tendance à l'exagération. Pour Saint-Paul je ne compte que deux ennemis mais comme ils sont mes plus proches voisins. Les autres villageois sont toujours très courtois, Pôle Emploi aussi et pour les voisins de mon HLM je crois que c'est d'avantage de l'indifférence plus qu'autre chose... « Dans les villes de grande solitude... » comme le diraient certains.
Qu'on le veuille ou non c'est ainsi « Lorsque l'on se cogne la tête contre un pot et que cela sonne creux, ça n'est pas forcément le pot qui est vide » dixit Confucius. Bien sûr que le problème vient de moi. Mais je n' y peux rien, enfin si. J'ai conscience que ce n'est pas tout ce beau monde qui a tord mais moi seul. Quand on est pas bien avec les autres c'est qu'on est pas bien avec soi-même.
J'essaie de me convaincre que je suis le nœud du problème. Je pense à ceci toute la soirée.
Je me dis qu'il faudrait être plus diplomate pour régler les problèmes de Saint Paul mais Théoleyre reste dans mon viseur. C'est lui le responsable du goudron, de la neige avec le chasse neige et de la canalisation d'eau. On dit que la nuit porte conseil, j'espère ! Seul point positif : L'homme de la désinsectisation m'a peut être ouvert les yeux mais là c'est l'heure d'aller dormir.
« WASP – 12 b »
Je me réveille en plein rêve. Enfin non, en plein cauchemar. Je ne sais plus !
J'étais là, dans mon sommeil, en train de chercher un nouveau moyen pour me suicider.
J'ai longtemps pensé à me pendre, puis à la solution médicamenteuse. J'avais aussi envisagé de boire jusqu'à plus soif mais allez donc savoir pourquoi j'aimerais être clair lors de mon passage devant dieu. C'est bête, je sais, car je n'ai aucune religion, aucun dieu.
J'avance seul et à découvert.
Je partage la vision de Michel Onfray « A visiter le Paradis, on manque la Terre...Voilà le fond de toute religion : Obéir, se soumettre, renoncer à soi, à l'intelligence, à la raison, se contenter d'être la chose de Dieu. » Ou peut-être la vision de Julien Green « Dieu n'ayant pu faire de nous des humbles fait de nous des humiliés »
J'étais là au volant de ma voiture et je recherchais une belle falaise.J'en voyais bien une mais pas vraiment à pic. Plutôt une belle descente, presque à pic, mais des arbres risquaient de freiner ma chute. J'étais là, et avec le bol que je me traînais en ce moment, j'ai eu peur d'être seulement handicapé. Peut-être un légume, mais en vie. Je ne souhaitais pas être un nouveau Vincent, à la vie volée. J'ai repensé à ces deux jeunes filles, chacune d'une quinzaine années, qui avaient voulu se suicider. L'une d'elles en avait réchappé mais dans quel état. Pour moi, et pour elle aussi, c'était affreux. On recherche le calme, la plénitude, l'oubli et au final encore de la souffrance.
Je me réveillais en sursaut ! J'atterrissais dans le mots de Prévert « Bien sûr, j'ai pensé parfois mettre fin à mes jours, mais je n'ai pas su par lequel commencer »
« Vivre est une maladie...
la mort est le remède. »
Le réveil affichait quatre heures du matin, je décidais de me lever. Nicolas de Chamfort.
Bus, autocar, voiture et parking. J'ai prévu un plan.
Si le Maire est absent, et ceci n'est pas impossible, je demanderais à parler à l'un de ses adjoints.
Un petit jeune, à peine la trentaine, qui me semble bien à l'écoute et qui de surcroît connaît bien le problème. J'ai décidé de tout dire.
Ce petit jeune était présent lors du changement des canalisations, c'était il y a trois ans environ.
En ma compagnie et celle d'un certain Théoleyre il avait indiqué la procédure à suivre. Mais Théoleyre l'avait adaptée à sa sauce et n'avait fait que la moitié du travail.
Une tranchée avait été creusée puis la canalisation remplacée et pour la seconde... Il m'avait proposé de le faire seul « A l'occasion vous creusez une tranchée d'un mètre cinquante de profondeur sur huit de longueur. Je vous laisse la canalisation ». J'ai envie d'ajouter « Et merci, et au revoir ! ».
J'étais, comme souvent hélas, au fond du trou c'est le cas de le dire. Je l'avais écouté, incrédule.
Je n'avais même pas la force de répliquer mais je n'avais pas oublié. En ces temps et sans voiture je faisais les deux fois cinq kilomètres et la route me paraissait toujours longue, trop !
Oui, j'allais lui expliquer ceci et ma cave inondée à cause des travaux réalisés à la Jean foutre, le goudron et cette porte aujourd'hui condamnée, le niveau revu et corrigé grâce à qui de droit et ce mur de neige que je récoltais chaque fois que le chasse neige passait.
Bien sûr j'allais l'adapter à ma sauce cette fois ci.
Quand quelqu'un vous prend pour un con c'est une bonne raison de répondre avec les mêmes armes, d'où ce discours préparé par mes soins « Vous savez Monsieur, je n'ai jamais été procédurier. Quand ma cave a été inondée je l'ai signalé à monsieur le Maire mais je n'ai rien demandé. Vous devez-vous en souvenir, même si ceci remonte à trois ans, avec monsieur Théoleyre nous nous étions retrouvés sur place. Nous avions convenu, suite à vos plans appuyés par vos dires, la réalisation de deux tranchées. Ensemble nous avions décidé d'un jour pour l'exécution. Hélas, elles ne le furent pas entièrement. La première a bien eu lieu, quand à la seconde M Théoleyre m'a dit « comme vous n' êtes pas relié à l'eau et que le chantier est important je vous laisse la dernière canalisation ici et je reviendrai ultérieurement. » Pour ma part il n'y avait aucun problème. Il me semblait normal que la priorité était aussi ailleurs. Alors j'ai attendu. J'ai attendu jusqu'à la fin du chantier. J'ai attendu encore. Et puis plus rien. Aujourd'hui j'ai toujours cette canalisation stockée en attente. Je pourrais, et je devrais vous parler du mur de neige qui se veut récurent mais le coup du goudron c'est le pompon ». J'avais prévu de sortir mon smartphone pour lui montrer les photos avant et après.
Une évidence que le niveau ne l'était justement plus. J'en étais là dans mes pensées tout en prenant la direction de la maison. Devant la porte je ne pouvais que constater les dégâts. Inutile de sortir le burin. Encore moins le niveau. Je pris un mètre et réalisais, cette fois avec certitude, que ladite porte suivant les endroits était enterrée entre trois voire quatre centimètres.
Je sortis un niveau et constatais que sur plus de cinquante centimètres le niveau affichait carrément une bulle inversée. Ils étaient arrivés a précipiter l'eau, enfin une partie, directement dans la cave.
J'aurais dû être comme un fou mais je pris sur moi. Je fermais la maison et direction la Mairie.
Pourvu que le jeune homme soit bien présent, dans le pire des cas je prendrais rendez-vous avec le Maire. Arrivé face à la Mairie je vis l'homme en question. Il était là, derrière son bureau.
Une grande baie vitrée montrait qu'il était bel et bien là.
Super ! Je me précipitais vers la porte d'entrée que je franchis avec entrain.
Bip... Bip...Bip. Vous savez, un peu comme ces camions qui vous signalent qu'ils reculent.
Si j'avais pu le faire, je l'aurais fait.
Le temps m'a semblé se suspendre. « La tolérance est le plus cours chemins
pour la compréhension. » Guirarro Dominique.
D'ordinaire j'aime bien quand personne, hormis la personne de l'accueil, n'est là. Mais là ce n'était pas le cas. Ni une, ni deux ou trois personnes en attente d'informations, que nenni, mais littéralement une foule. J'exagère à peine, au bas mot environ une vingtaine de personnes envahissent cet accueil d'une quarantaine de mètres carrés. Du jamais vu !
Je reconnus M Théoleyre qui trônait à la place de la dame de l'accueil. Des visages totalement inconnus, d'autres plus connus comme le chef des employés municipaux ou encore l'employée de la Poste, celle qui m'avait remis mon AR. La dame habituelle n'était pas là. Était-elle remplacée par la postière ses jours de congé ? M Théoleyre eut un petit rictus que je n'arrivais pas à traduire, ou ne voulais pas.Tant pis, c'était trop tard pour reculer. Je me lançais. Je faisais face à ce monsieur.
« Je reviens au sujet de la porte.
-Vous n'y êtes pas arrivé ?
-En fait je n'ai pas essayé. J'ai seulement dégagé une fine bande le long de la porte.
-Oui j'ai vu ça » dit-il d'un air mi-figue mi-raisin voire agacé. J'en conclus qu'il était venu voir, seul ou avec son équipe. Il avait pu constater que le goudron enlevé gisait le long de la rue. En effet, au bout d'un moment le goudron enlevé me cisaillait les genoux, alors énervé comme je l'étais, j'avais évacué tout ce beau monde au milieu de la rue.
« Faire silence, c'est retrouver un temps hors du
temps, un sentiment d'éternité. Être à l'écoute de soi pour mieux être à
l'écoute du monde qui nous entoure. » Catherine Bensaïd.
Je ne parlais plus, tout le monde s'était tu. Je m'entendis lui dire « Je me permets de faire le tour de votre bureau, je souhaiterais vous montrer quelque chose ».
Arrivé à son niveau je fis défiler plusieurs photos de mon smartphone. Là, je m'arrêtais.
« Comme vous pouvez le constater sur ce cliché notamment, c'était avant la pose du goudron, le dénivelé est plus que conséquent. De plus, avant votre passage j'ai creusé un peu plus et pour info trois personnes sont venues par la suite et elles ont creusé également. Sur cette autre photo on voit encore mieux comment la réalisation se voulait simple, après c'était un jeu d'enfant d'où mon interrogation ». J'allais ajouter d'où mon interrogation pour ne pas dire plus mais je ne voulais pas que ceci soit mal interprété au risque de dégénérer.. J'observais le silence comme on observe une scène figée par la pellicule. J'avais cette impression, désagréable, d'être le seul acteur de cette scène.
Où alors, pour reprendre l'image de William, transformer ces acteurs en comédiens et donner la dernière réplique à Sénèque « La vie est une pièce de théâtre : Ce qui compte, ce n'est pas qu'elle dure longtemps, mais qu'elle soit bien jouée ».
Je terminais par ces mots « Vous me dites que la solution serait de couper la porte mais si je le fais et étant donné une augmentation de trois voire quatre centimètres et sachant que la porte tombait juste au niveau de la première marche il en résulte une rue supérieure à la première marche. Pour moi ceci est un problème d'où ma venue ».
C'était peut être un peu alambiqué mais, dans l'ensemble, chacun comprenait. Ou essayait ?
Enfin j'espérais car pour l'heure j'étais face à un mur, un mur de silence.
Ce fut le chef des employés municipaux qui prit la patate chaude.
« Oui, en effet c'est un problème. Le mieux serait d'aller voir sur place pour trouver une solution ».
Enfin un esprit clair. Martin Heidegger disait « Le langage est la maison de l'être ».
J'ajoutais « Vous pensez le faire quand ? Pour être honnête je préférerais que ce soit un jeudi ».
Le chef me dit « Vous restez la journée ? ».
J'aurais dû dire oui mais le froid était si vif que je n'avais pas le courage d'attendre seize heures pour arriver vers dix-neuf heures. Normalement je prenais très rarement l'autocar de quatorze heures mais j'avais décidé de prendre celui ci et même pour la première fois j'avais repéré la deuxième de la journée, à savoir celui de midi.
La fatigue plus le froid m'incitaient à arriver avant que la nuit ne tombe. « L'instant est béni. Tout
Le chef me demanda « Vous êtes là jusqu'à midi ? ». le reste est souvenir. » Morrison.
-Oui, lui dis-je.
« D'accord on se retrouve sur place. Je préfère battre le fer tant qu'il est chaud. A tout de suite ».
J'étais presque heureux. Mon regard croisa celui de la postière qui me souriait d'un air de dire : « Bien joué ! » Il ne restait plus qu'à attendre. J'en profitais pour reprendre mes occupations.
Entendu sur la radio Rires & Chansons « C'est moi où il fait un temps de connard ? »
Un camion s'arrêta et deux personnes en descendirent. Le chef et un inconnu, mais sa tenue montrait qu'il faisait partie de l'équipe des employés municipaux.
Ils essayèrent plusieurs techniques pour arriver à leur fin mais le « dégondage » ne se fit pas.
A la fin c'est avec un pied de biche qu'ils y arrivèrent, seul je n'y serais jamais arrivé. Ils ont essayé différentes méthodes avant de débloquer véritablement ladite porte.
Aussitôt ils embarquèrent la porte pour la couper dans leur atelier. « On revient » précisa le chef.
Durant leurs absences j'en profitais pour nettoyer les marches qui descendaient à la cave, puis la fissure que j'avais laissé encore encombrée de débris divers et enfin la rue.
Au bout de dix minutes ils étaient de retour. L'un prit la porte et l'autre descendit une brouette remplie de béton. La porte fut remise en place. L'inconnu descendit s'installer au milieu des marches de la cave et le chef déposait le béton de l'extérieur.
Ils étaient synchros, c'était beau à voir. Un vrai travail d'équipe. Seul j'y aurais passé un temps fou.
A deux c'est comme si vous gagnez une voire deux personnes en plus.
Je pensais à mon frère. Si je n'avais pas été aussi infecte il m'aurait aidé mais par ma faute...
Cela faisait tellement d'années que je travaillais seul que, hélas, j'avais pris l'habitude de m'emmerder. Vraiment quel con j'étais !
La chose était presque terminée quand M Théoleyre arriva comme à l'accoutumée les mains dans les poches. Comme aurait dit Michel en parlant des fonctionnaires « Si un jour il arrive un accident du travail, pensez bien à lui enlever les mains des poches. »
« Ça se passe bien ? » demanda t-il à ses gars. Je ne pus m'empêcher de me demander depuis combien de temps il n'avait pas touché un outil mais bien sûr je le gardais pour moi.
Tout compris, entre la première arrivée du camion et la fin de l'opération, environ une heure.
Le chef municipal reconnaissait quant à lui « Oui, c'est pas des mieux fait. Ils auraient pu faire autrement mais avec ce style d'entreprise ils veuillent parfois aller plus vite que la musique. »
M Théoleyre ne pipait mot. Je remercie vivement le chef de sa bienveillance et l'inconnu de sa compétence. Qui aurait dit qu'un jour j'allais tenir un tel discours face à des employés municipaux ? Je remercie plusieurs fois ces deux personnes et j'en profite même pour rappeler le chasse neige et ce mur que je récolte régulièrement devant chez moi.
Le chef semble horrifié « Ne parlez pas de neige vous allez nous porter la poisse ! C'est vrai, comme vous n'êtes pas toujours là c'est un peu la solution de facilité, mais je comprends. En plus quand cela gèle par dessus... ». Il me promit d'y faire attention à l'avenir.
Je remercie à nouveau ces deux travailleurs et au loin M Théoleyre reste à l'écart.
Mon regard croise le sien. Je crois, que durant un instant, il a dû penser à la tranchée non faite.
J'ai failli dire « Bien deux choses ont été menées à bien, désormais il ne reste plus qu'un seul différend entre nous ». Mais je ne dis rien. Il faut savoir profiter pleinement de ces instants.
Je fermais la maison et prenais l'autocar de midi. « On peut tromper tout le monde, on n'échappe
pas à son propre regard. » Jean-François Somcynsky.
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