CHAPITRE 12

CHAPITRE XII. Cinq ans plus tôt. Quand la mère casse l'histoire comme on casse un jouet. Depuis plus de dix ans je m'occupe de ma mère. En fait j'ai pris la place de mon frère. Depuis l'annonce du mariage de mon frère, je suis aux anges ! J'ai parfois l'effet d'être un peu seul à penser ceci, la mère semble anéantie. La mère en a profité pour déménager et se rendre dans une autre ville, à la périphérie de la nôtre, une vingtaine de kilomètres. Elle rejoint ainsi le clan Jusseron. En effet, hormis David qui a fait construire ils sont tous là, dans ce même quartier. Joëlle et son nouveau mari, Angélique et Teddy. La mère s'installe ainsi dans la tour principale avec un ascenseur devenu obligatoire. C'est Angélique qui s'est occupée de tout. Avec Alain on s'est occupé du déménagement. A partir de midi la famille Jusseron est arrivée. La mère avait prévu un repas alors on s'est tous assis. C'était la première fois que toute la famille rencontrait Bernadette. Alain était très en joie et sa promise plutôt discrète, timide. Pourtant une chose m'a marqué lors du repas. Nos deux fonctionnaires parlaient travail (sic). Le mari d'Angélique quant à lui expliquait qu'il travaillait le dimanche mais sans aucune rémunération supplémentaire. Alors Alain a coupé court à tout commentaire et, tout en regardant Bernadette, il a enchaîné « Tu t'imagines, Chérie, des gens qui travaillent le dimanche pour rien... » On n'aurait même pas trahi sa pensée en affirmant «  Les cons ! ». Là, à ce moment précis j'ai eu dû mal à reconnaître mon frère. Comme beaucoup de gens il avait occulté sa première vie, avant de rejoindre cette grande famille de... David est resté l'après midi pour nous aider. Les autres ne sont restés que pour le repas – peut-être que certains ont pris un carton ou un objet quand ils sont arrivés pour montrer leur implication - et puis...comme un envol d'oiseaux. Angélique lui avait dit de la rejoindre car sur place elle pourrait davantage l'aider au quotidien. Elle lui avait même dit que son mari, en sortant ses chiens prendrait le sien, c'était pratique. Pour ses courses elle viendrait avec sa voiture et puis...Et encore... Hélas, après quelques semaines, le mari a arrêté de venir. Personne pour lui faire ses courses. Joëlle et sa fille ? RAS...Alain ne venait plus, si une ou deux fois l'an et Bernadette restait dans la voiture. J'ai pensé que c'était exagéré, non ? Pour ma part je me séparais de la personne avec qui je vivais et quittais mes différents emplois suite à des problèmes de santé. J'ai trouvé normal de donner de mon temps. En plus j'en avais à revendre. C'était une nouvelle vie. Alors que j'avais vécu près de dix ans totalement en sur régime, aujourd'hui j'étais libre. Un court instant j'ai pensé que je vivais comme mes parents, sans aucun souci. Sauf de santé. Le passé et le futur je n'en avais que faire. Je me laissais aller à ne pas penser. Ne plus être. En réalité j'entrais en pleine dépression. Non, je continuais ma chute sans fin. Deux fois par semaine je faisais les courses. J'arrivais pour l'emmener dans des magasins mais avant toute chose je venais les bras chargés de sacs remplis de nourriture, surtout du frais. Parfois j'étais obligé de faire deux voyages en direction de ma voiture tellement j'avais de sacs. Je crois que je voulais surtout faire plaisir à ma mère, lui offrir ce que je n'avais pas eu droit. Bref, j'ai fait comme Alain. J'ai acheté sans rien en retour. Enfin si, mais ça je ne le saurais que plus tard, un peu plus de dix ans... Outre les courses – au bout de dix ans la somme est énorme – les frais d'essence, les promenades et les restaurants, j'ai acheté, tel un inventaire à la Prévert : Un fauteuil multifonctions électrique, platine laser CD, DVD, Chaises, Appareil réflexe photos numérique, vétérinaire et soin pour le chien, fauteuil roulant, la tombe du père, téléphone... J'ai tout fait pour faire plaisir à ma mère. Le mercredi, date de sortie du « Canard enchaîné » j'en profitais pour acheter également « Closer, Détective, Voici. » et les lui donner le vendredi afin qu'elle ne s'ennuie pas trop le week-end venu. Très tôt elle m'a demandé qu'elle me fasse une procuration, au cas où « Je serais plus tranquille » J'ai toujours refusé. Ce n'était pas mon problème. Ça le devint car après de nombreuses demandes, je cédais. Elle a toujours fait ainsi. J'ai signé des papiers à la banque. J'ai fait remarquer à la banquière une inversion quant au libellé « Je ferai le changement ! » J'ai hésité... J'ai regardé la banquière, puis ma mère. Et puis je me suis dit que je voyais le mal là où il n'était pas. J'ai fait confiance. Pas une mère, non ? Pas une mère ? Si. « Ma confiance, je l'ai donnée, on Si, c'était trop tard. Vu sur la totalité de mes comptes bancaires. me l'a rendu abîmée. » Ninho. J'allais avoir quarante ans... La Honte ! Bien sûr pas une once d'amour la dedans, juste de la haine. J'étais, dans une nouvelle version, le cocu, celui qui n'est au courant de rien, jamais ! J'en ai pris pour un peu plus de dix ans. France Gall, à travers les mots de Michel Berger chantait « Si maman si, si maman si, maman si tu voyais ma vie... » Ici la chose était entendue. J'aurai voulu disparaître dans les mots de ce même Michel « Je m'en irai dormir dans le paradis blanc. Où les nuits sont si longues qu'on en oublies le temps. Tout seul avec le vent. Comme dans mes rêves d'enfants. » Avec ces procurations elle retrouvait un certain pouvoir, une certaine importance. Mais avant toute chose il fallait partager avec les autres alors elle en a parlé à tout le monde. Mais vraiment tout le monde : La famille, toute la famille, et les autres, infirmières, femmes de ménage, voisins et j'en passe...Certains l'ont critiqué, mais elle n'en avait que faire. Quand les aides à domicile venaient et qu'elles ne jouaient pas le jeu (notamment aller chercher des imprimés à la banque) elle se plaignait aux secrétaires et une toute nouvelle arrivait. Une fois une jeune fille m'a appelé au téléphone. J'ai dit tout le bien que je pensais de ma mère...Alors elle n'a pas osé finir. En résumé, tout le monde avait mes comptes entre les mains... en priorité la famille Jusseron, et en première lieu la petite fille, Angélique ! J'ai même appris, et elle en était très fière, que le banquier l'appelait pour discuter de ce compte, de mon compte. J'étais le con dans toute sa démesure. Je payais tout, je consacrais du temps, beaucoup, et pendant ce temps, outre le fait que tout le monde connaissent tout de moi et de mes finances bien sûr, toute la famille se retrouvait pour des sorties dans des restaurants auxquelles je n'étais pas convié. J'étais le vilain petit canard de l'histoire ou comme le chante Georges Brassens celui « Qui ne fait pourtant de tort à personne. En suivant mon chemin de petit bonhomme. Mais les brav's gens n'aiment pas que l'on suive un autre route qu'eux. » Bien sûr je ne l'apprendrai que bien plus tard, pour l'heure je remplace Alain. « Celui qui ne connaît pas l'histoire est condamné à la revivre. » Karl Marx. Je m'occupe pour la grande majorité, des courses au quotidien. Je connais les marchés peu onéreux, les magasins qui pratiquent des démarques avec chaque jour des promos plus que très intéressantes. Je m'occupe de faire plaisir à ma mère. Ses caprices sont tels des ordres. Je consacre au minimum deux demi-journées qui très vite deviendront deux, voire plus, journées entières. J'essaie de devancer ses moindres désirs. Je m'occupe de ses papiers administratifs, de la sécu, de sa mutuelle, des rendez-vous chez les médecins ou à l'hôpital, des courses bien sûr, de la voiture, du chien...Je sais, j'ai sûrement eu tord. Ma mère m'avait avoué qu'Alain ne venait plus, Joëlle idem alors qu'elle habitait le même quartier et Angélique préférait prendre des nouvelles par téléphone, alors... Aujourd'hui j'apprends que ma propre mère vient de me planter un couteau dans le dos. La plaie est profonde et dure depuis plus de dix ans, treize pour être précis. x ---- ---------------------------------------------------------------- log (x) Les fêtes de Noël viennent de se terminer et en rentrant des courses, comme chaque fois qu'elle en ressent le besoin, je passe par la banque pour récupérer un imprimé de ses comptes. Pour moi le respect est toujours passé avant tout le reste. Ma mère reste dans la voiture et je récupère à la machine les imprimés. J'ai comme règle de ne jamais regarder les comptes de ma mère. J'exécute ses demandes, je plie les documents et les lui remets. Et puis un jour...Je ne sais plus comment la chose s'est déroulée, mais la chose a eu lieu. Peut-être que l'imprimé s'est retrouvé à terre mais ce que j'ai vu m'a plus que perturbé.. Ce n'était pas un relevé de ses opérations courantes mais le résumé de ses différents comptes. Et là, le choc ! Mon nom suivi de mes comptes. J'étais interloqué mais je n'ai rien montré. Je crois que j'ai tout fait pour essayer de ne plus y penser mais ceci restait dans un coin de ma tête. Je pense que je ne voulais pas y croire d'ailleurs j'ai passé de nombreuses semaines sans essayer de vraiment comprendre. Mais régulièrement j'y pensais... Je me disais que je devrais voir avec mon conseiller le pourquoi d'un tel hic mais je me demandais si je n'avais pas peur de la suite. « Parfois la meilleure façon de porter un coup c'est de reculer. Mais à trop reculer on finit par ne plus se battre » aurait pu dire Clint Eastwood dans « Million Dollar Baby ». Et puis un jour j'ai pris la direction de la banque. Sans réfléchir, sans aucune préméditation. Un jeune homme, un nouveau, était seul au guichet. Il faut dire que cela fait bien longtemps, plus de trente ans, que personne ne rentre à l'accueil. J'exagère à peine, les banques ont tout fait pour nous mettre dehors, plus précisément au distributeur automatique. La seule bonne nouvelle c'est qu'il n'y a plus de longues files d'attente. Enfin presque. En m'excusant je lui raconte mon histoire. Je précise que dernièrement ma mère m'a demandé de signer pour me faire une procuration et que très certainement il a dû se produire un bug car mes comptes apparaissent aujourd'hui sur son compte à elle. 2 2 2 Le jeune homme me demande ma carte et interroge l'ordinateur. (x+y) = x + 2 . x . y + y . Et là, la claque, la gifle. ! Et de me préciser « En effet l'opération a eu lieu dans une autre agence. Vous avez donné votre accord pour une procuration avec votre maman mais également une procuration vous concernant - Je blêmis – Par contre depuis un peu plus de dix ans vous avez donné une autre procuration, dans notre agence, à votre maman. » Je ne trouve pas d'autre mot que : Pardon ? Il me communique les dates des différentes procurations. Je suis sonné tel un boxeur. Hypercut en pleine face, tapis, civière et service compris ! Laure Adler dans « A ce soir » écrivait « Nous étions des boxeurs ivres de fatigue, pas échauffés pour le ring où nous devions livrer un combat dont nous ne connaissions pas les règles » Et là tout va très vite. Enfin je comprends mais c'est trop tard. Plus de dix ans à se servir, à surveiller mes comptes courants et là dernièrement les autres comptes annexes. Non, ce n'est pas vrai ! Je note les différentes dates et met fin à cette mascarade. J'aurais dû faire autrement mais j'étais bien trop énervé intérieurement. Je sors de la banque démoli, mise à terre, humilié. J'ai passé mon temps à surveiller mes comptes pendant près de dix ans, comme toute la famille l'a toujours fait mais j'ai eu la chance, parce que j'ai travaillé pour plusieurs entreprises en même temps, de ne plus trop regarder ces derniers. Souvent, et ceci pendant plus de cinq ans, je n'ouvrais même pas les enveloppes avec le relevé mensuel de la banque. Là, je payais « comptant-con...tent » J'ai plus de quarante ans, bientôt cinquante et j'ai honte. Louis Ferdinand Céline, au secours, les hommes sont devenus fous « Si les gens sont méchants, c'est peut-être parce qu'ils souffrent...Ce monde n'est qu'une immense entreprise à se foutre du monde. La vie c'est ça, un bout de lumière qui finit dans la nuit » « Parler est un besoin, écouter est un art. » Je crie une fois dans la voiture. Je ne réfléchis plus et je fonce chez-elle. Goethe. Je hurle comme un fou, comme une bête blessée « Mais qu'est-ce que je lui ai fait ? » Je profite d'une personne qui sort de la tour où elle réside pour ne pas utiliser l' interphone. J' ouvre la porte de l'appartement, comme d'habitude la porte est toujours ouverte, pour ne pas avoir à se déplacer pour la venue de la femme de ménage, des infirmières... Sans aucune préméditation je me saisis des clefs au revers de la porte et prends sur la table de la cuisine, posés dans un panier, les téléphones, la carte d'identité et la carte bancaire. Elle surgit du salon alors qu'elle regardait la télévision, comme toujours ! Elle sourit bêtement et là je pars au quart de tour. « Tu n'as pas de honte espèce de saloperie. Ordure ! » Elle fait celle qui ne comprend pas. Je hurle ! Je demande des explications mais rien n'arrive à mes oreilles. Je hurle mais rien n'y fait. Et puis elle réalise que la carte d'identité, bancaire et les téléphones ne sont plus là. Elle fonce à la porte, plus de clefs. « Alors tu vas répondre ordure ? » Elle retrouve la parole, certes, mais seulement pour demander que je lui restitue ses clefs. « J'en ai besoin ». Elle demande, redemande, redemande à nouveau et encore et encore. Elle ne fait rien d'autre. Mais quand c'est moi qui demande des explications, rien. Elle demande toujours et encore, encore et toujours. Et encore...Toujours son trousseau de clefs. Je ne réalise même pas que ce trousseau relie plus de vingt clefs et parmi elles sûrement celles d'Alain, Joëlle, Angélique et celle de ma maison de campagne. Las ; je cède. Encore une grosse erreur mais refait-on sa nature ? Elle fait pareil pour sa carte d'identité... Et le final est le même. Je cède à tout, trop con. Seul un des téléphones reste en ma possession. Elle s'assied devant sa table de cuisine et à partir de là plus rien. Plus aucun son ne sort de sa bouche. Pendant plus d'un quart heure j'essaye en vain. Je lui fais remarquer que c'est dégueulasse, qu'elle devrait avoir honte, qu'aucune mère digne de ce nom ne ferait ceci. Je hurle et parfois j'ai même l'impression d'être prêt à pleurer mais rien n'y fait. Alors que je lui rappelle que c'est du vol et une honte, elle me toise du regard et m'apprend « En tout cas c'est par moi que le banquier passait. C'est à moi qu'il téléphonait ». Mais alors « rien n'est vrai, rien n'est faux ; tout est songe et mensonge, illusion d'un cœur qu'un vain espoir prolonge. Nos seules vérités, hommes, sont nos douleurs » C'est bien toi Lamartine ? Et alors que depuis le début elle évitait mon regard, tête baissée, elle me fixe et dans ses yeux je vois du mépris. Oui, du mépris ! C'est là que je suis encore plus sorti de mes gongs «  Mais t'es vraiment qu'une sale merde. Saloperie, pétasse, gourdasse... ». Je n'arrive plus à me contrôler. Des images d'autrefois, que je pensais avoir oubliées, ressurgissent. Je lui parle des bonbons que je suçais et qui avaient été sucés par d'autres. Jetés à terre ils étaient là. Je racontais ma manière d'ôter les petits cailloux avant de les porter à ma bouche sinon je n'aurais jamais su ce qu'était un bonbon. Des anniversaires que personne ne fêtaient, sans cadeau bien sûr ! Des Noël sans aucune décoration, sans repas spécial, idem pour le nouvel an. D'un manque total d'amour. Les bisous, les gâtés – j'ai appris l'existence de ce mot vers les vingt ans – inexistants. Des insultes qui étaient notre quotidien. Des voisins, et ça je ne l'avais dit à personne, qui les traitaient de feignasses. C'est la seule fois où j'ai senti que ça lui faisait mal. Enfin, je crois. Des mots sans amour, d'une maison sans rire d'enfants où tout était interdit. De ma honte à l'école. De ma honte face aux gens. Je me suis même entendu dire des faits que je croyais rayés de ma mémoire. Ça remontait, à vitesse supersonique. Ça fusait de toutes parts. Des noms d'oiseaux ont envahi mes pensées. Des mots que je ne saurais écrire. « Contre la médisance il n'est point de rempart. » Molière. C'était un hiver très doux, presque un avant goût de printemps. Le balcon était grand ouvert. Alors elle a hurlé pour appeler à l'aide.J'ai été le premier surpris. J'ai laissé faire. J'ai bien pensé qu'avec le bruit que je faisais tout était possible mais rien ne s'est produit. Alors elle s'est tue, tête baissée. Plus aucun mot n'est sorti de sa bouche. J'ai parlé, toujours hors de moi, du fait que nous n'avions pas le droit de nous laver les dents. De nous laver tout court. J'ai rappelé la fois où Joëlle avait essayé de se laver les cheveux dans l'évier de la cuisine. De leurs réactions totalement folles alors qu' elle ne recherchait qu'à avoir les cheveux propres. « Ce n'est pas du luxe pourtant, non ? » J'ai parlé d' Alain et du dentier qu'il portait bien avant ses vingt ans. On était logé à la même enseigne même si la distance nous séparait. J'ai parlé de l'un des coups de téléphone d'Angélique « tu sais pour la réalisation du DVD avec tous les enfants, elle voulait que je prenne deux photos où tu n'étais pas vraiment à ton avantage. » J'ai raconté qu'Angélique m'avait alors dit « Tu l'aurais vu chouiner, elle n'arrêtait pas. C'était gênant. » Elle savait très bien que «  chouiner » était un terme dont je ne me servais jamais. CQFD encore. J'ai parlé de moi. Un des seuls anniversaires, j'avais quinze ou seize ans, où elle ouvrit la porte de ma chambre me remettant une pièce de dix francs, tout en disant «  Et tu ne dis rien à ton père ! ». J'ai été le premier surpris, elle devait penser qu'avant cela ne comptait pas. Un remord ? Non. C'était plutôt en prévision. Au cas où les anniversaires seraient de sortie un jour, ou l'autre. Dix francs ce n'était même pas ce que donnaient d'habitude les parents, les vrais, pour les faux frais de la semaine. Il existe un autre mot mais je n' arrive pas à m'en souvenir...Ah si, l'argent de poche. J'ai dit que depuis toujours elle nous avait méprisés, pris pour des gros cons mais qu'en réalité c'étaient eux les cons. Qu'on n'avait pas le droit de vivre sur le dos de ses gamins. Qu'il n'était pas normal d'avoir deux chômeurs alors que nous étions en plein dans les trente glorieuses avec du travail en veux-tu en voilà. J'ai failli parler du père...Je ne l'ai pas fait et pourtant...En réalité je me suis tu sur au moins deux sujets, celui ci en faisait parti. J'avais peur de faire trop mal. J'ai ajouté que sa sœur, sa propre sœur, avait eu un enfant, un seul, Guy, et avec son mari ils l'avaient aimé, guidé pour qu'il ait une belle situation alors que nous, nous n'étions que des allocs. Trois car c'est à partir de trois que les allocs deviennent rentables. En fait, pendant toute mon enfance et après aussi, quand je croisais une famille quelconque avec un seul enfant, je me disais qu'il devait être aimé...Loin de toutes allocations. Idem si les enfants étaient deux mais dès que je croisais une famille de trois enfants...Je me disais que c'était l'enfer ! J'ai parlé également d'un total « je-m’en-foutiste » et qu'ils ne faisaient rien de leurs journées hormis nous insulter et attendre sur leur canapé que le temps passe. « Le silence aussi possède la violence des mots. » Grégoire Delacourt. Je n'arrivais plus à m'arrêter. Les images surgissaient sans aucun contrôle. J'ai parlé du seul repas qu'elle faisait de la semaine, le dimanche. C'était tout le temps la même chose. Elle jetait dans une poêle le contenu d'une boite de conserve. Des petits pois carottes, sans rien autour, pas même un oignon, juste le contenu réchauffé et un poulet acheté chaud au marché. En guise de dessert la crème à la vanille format familial. J'ai raconté le partage atroce qu'elle nous imposait, nous n'avions pas droit à la parole. Les ailes pour Joëlle, le bas, les ailes pour Alain, le haut, une cuisse pour la mère, une pour moi et tout le reste pour le père. Moi, je me disais que je m'en sortais bien, même si je l'avoue, j'avais mauvaise conscience. Une fois, une seule, Joëlle a dit que « ce n'était pas normal. Qu'il n'y avait rien à manger. » La riposte fut violente. Avec mon frère nous n'avons rien dit. C'était la terreur dans cette famille de fous. Je suis incapable de répéter ce qu'ils ont dit, c'était infecte. Et pour terminer ce repas « concocté » par la mère, la crème vanille format familial. Incontournable ! Indémodable ! On attendait que le père ait terminé et bien sûr un poulet presque entier ça prend du temps. Alors on attendait... Alors on attendait... La mère, au bout d'un moment, disait « C'est bon ? » Il terminait enfin, le visage rempli de graisse. Après il léchait son assiette, comme toujours. Après, comme toujours, il léchait sa cuillère, c'était le seul ustensile dont il se servait, une cuillère encore pleine de graisse qu'il offrait à ma mère. Et cette dernière plongeait celle ci dans la barquette. C'était Dégueulasse ! La graisse se confondait avec la couleur vanille. Je pense que tous nous partagions cette incompréhension. Pourquoi ne pas prendre une autre cuillère ? Personne n'a jamais rien dit. C'était ainsi, et comme toutes les lois au sein de cette soi disant famille, personne n'avait son mot à dire. Voilà le repas dominical : Infecte et immuable. C'était le seul repas que nous prenions en commun, le tout dans une cuisine minuscule. Il y a des choses que j'ai dites et d'autres non. Pas le courage, pas la force. Pourtant, tel un véhicule sans frein, il m'était impossible de m'arrêter. Je hurlais ma détresse, ma haine. Tout l'immeuble devait être au courant alors la mère, sûrement par peur de toutes ses révélations déjà dites et à venir, se leva et me proposa d'aller à sa banque. Pour se justifier, que nenni. Non, seulement parce que durant tout mon monologue j'ai parlé argent. « Pendant plus de dix ans j'ai tout payé. Je t'ai donné mon temps et mon argent. Tu crois que les courses on m'en faisaient cadeaux. A raison de vingt euros par semaine, j'étais dans la fourchette basse mais qu'importe – je fis un rapide calcul : vingt euros multipliés par cinquante semaine multipliés par dix ans – cela fait plus de dix mille Euro et pour vol on devrait doubler la somme. Bien sûr je ne compte pas la maltraitance et tout le reste ». Pour une fois c'est elle qui m'a paru interloquée. J'ai pensé, que comme Angélique, elle aimait surtout l'argent alors j'ai récupéré une cachette dans laquelle elle avait mis de l'argent. J'ai constaté, hélas, que je ne m'étais pas trompé. Elle s'habilla, se coiffa et je la chargeais dans la voiture. Pour la première fois je n'ai pas pris le plus grand ascenseur, pas le temps d'attendre. Pendant tout le voyage je continuais à hurler ma détresse. Je la déposais devant la banque et j'allais chercher une place pour me garer. Comme une envie irrésistible de retrouver Jacques... Prévert « Le temps nous égare. Le temps nous étreint. Le temps nous est gare. Le temps nous en train » mais je m'égare, me gare, stop ! 1 m GM E = - --- ------- 2 r Quand je revins à la banque je retrouvais la mère là où je l'avais laissée, à deux-trois mètres de la porte d'entrée. J'ai dit « Allez, vite, on y va ! ». Elle avait la tête baissée. J'ai répété « Allez, vite ! Tu vas vite rendre tout ce que tu me dois ». A cette date je ne parlais pas de vol sur mes comptes. Elle m'a regardé avec sa tête de pauvre petite fille triste et s'est plainte de ne pouvoir accéder à la banque « Trop fatiguée » d'après ses dires. Et encore une fois j'ai cédé. J'étais guidé par ma colère même si je savais bien que cela ne servirait à rien. Je ne voulais que lui faire peur et même cela je n'y arrivais pas car même si je l'avais fait, une fois mon départ il suffisait d'appeler la banque pour annuler l'opération et dans le pire des cas trouver quelqu'un, son aide à domicile par exemple, pour l'amener sur place. J'ai tout de même retiré quatre cent euros au distributeur. Je savais comment faire mal, l'argent. Je suis retourné chercher la voiture et j'ai rechargé cette mère et son déambulateur. Bien sûr que l'excuse de ma mère était fausse mais j'ai senti ma maladie se réveiller. En effet, depuis cinq - six ans j'ai l'impression de tomber comme une merde. J'annonce cela mais c'est peut-être bien plus. Ça me prend sans prévenir. Je sens ma tête engourdie et quand ça me prend je suis obligé de m'allonger le plus rapidement possible. Je peux vraiment dire comme une merde car quand ceci arrive, et c'est de plus en plus fréquent, je sombre dans un véritable sommeil. La seule inconnue c'est le temps que cela va durer, aussi bien un quart d'heure que plusieurs heures. Alors très rapidement nous avons rejoint son appartement. J'ai eu la force de lui rappeler que c'était une honte ce qu'ils nous avaient fait. Qu'à aucun moment ils ne pouvaient prétendre au qualificatif de parents. Dans une pièce qui était devenue aujourd'hui un débarras j'ai récupéré une vielle photo, qui traînait sur une étagère, où j'étais en train d’interviewer Jean louis Foulquier lors des Francofolies. Elle était posée là, en format standard, toute nue. Alain me faisait presque face avec cette photo que j'avais prise alors qu'il avait tout juste vingt ans, en contre-plongé. La photo, agrandie pour l'occasion, était vraiment très belle et toujours ce sourire sur ses lèvres. La différence, c'est que lui avait eu droit à un cadre. En réalité je n'y voyais aucun problème, simple constatation. Aucune photo de Joëlle, dans aucune pièce. Par contre dans la pièce à vivre trois photographies trônaient. La mère avait installé celles-ci de manière, une fois allongée, de voir sur la gauche deux cadres avec son mari et elle même. Photographies faites chez un photographe alors que je devais avoir huit ans. C'est cher de poser pour un photographe, non ? Et quand elle se retournait sur sa droite elle avait devant elle cette jeune fille sûre, trop sûre d'elle même. Elle posait comme si elle allait faire la couverture de Paris Match ou de Vogue. Elle devait avoir seize ans « Et cet air un peu trop sûr de soi que certains prennent à la sortie de l'adolescence » Angélique dans toute sa démesure ! Elle aussi avait eu droit à son agrandissement et son cadre. J'aurais pu m'interroger ? C'était bizarre, non ? Je me suis dit que c'était son plaisir, je n'avais pas à juger. Une histoire de respect, non ? J'ai ouvert un des albums photos, plus d'une vingtaine remplissaient le bas d'une bibliothèque, j'ai enlevé les photos me concernant ainsi que Muriel. Hélas je n'ai même pas terminé le premier album que j'avais la tête en feu. Je devais impérativement partir, je me sentais partir. J'ai laissé, là, les photos. « La vie était comme un meuble en kit : Quelques vis manquantes, un écrou en trop, le tout dans un équilibre précaire. » Zoé Brisby. J'ai quitté les lieux. J'ai dit que je reviendrai demain pour en reparler. J'étais à bout de force. Et encore vingt kilomètres avant de rejoindre mon appartement... Je n'arrêtais pas de penser durant tout le voyage, toute la soirée, toute la nuit aussi. Cinq ans plus tôt, le lendemain. 2 Quand la mère referme la porte de l'histoire. f (x) = a x + b x + c = 0 Cette nuit j'ai dormi peut-être une heure. J'étais comme un lion en cage tout le reste de la nuit. Ou alors, et pour rester dans le monde animal, ce papillon qui n'a qu'un jour à vivre et se retrouve coincé dans les toilettes. Je tapais dans mes mains avec violence pour ne pas exploser mes meubles ou autres murs, portes et j'en passe. Ça tournait sans cesse dans ma tête . « Pendant l'insomnie, je me dis, en guise de consolation, que ces heures dont je prend conscience, je les arrache au néant, et que si je les dormais, elles n'auraient jamais existé » Hélas, je n'ai pas la philosophie d'un Émil Cioran. En tout cas, pas à ce moment précis de l'histoire. A cette époque je ne savais pas que j'étais parti pour plus de cinq ans de ce programme de fous. Version aussi bien de nuit que de jour. Des sessions de vingt quatre heures et toujours renouvelables Encore une fois je m'avouais vaincu, j'avais pensé qu'il suffisait d'être mère pour être maman. « Être une bonne mère ? C'est se demander ce qu'on a raté. » Élisabeth Badinter J'étais sur place très tôt le matin. Je n'eus pas à attendre devant l'interphone car le gardien d'immeuble avait bloqué la porte pour sortir ses poubelles. Il faut dire que je possédais la clé de son appartement mais pas la clé pour ouvrir la porte d'entrée de l'immeuble alors qu'Angélique possédait pour sa part les deux. Et Joëlle ? Et Alain ? Je pris l'ascenseur pour arriver au troisième étage, étonnement il était disponible. J'arrivais devant la porte de l'appartement, je l'ouvris. Rien ne se produisit, j'avouais mon étonnement. Je réessayais mais force est de constater que la porte était bel et bien fermée. On entendait le bruit des clefs à l'intérieur, juste derrière. Ça j'avoue, je ne l'avais pas prévu ! Alors je sonnais.. Une fois d'abord, puis deux, puis trois... Rien. Enfin si, j'entendais, par intermittence, des pas. J'ai sonné à nouveau, encore. Fatigué je me suis assis, par terre, face à la porte. J'ai pensé à Carl Gustav Jung « On ne peut voir la lumière sans ombre, on ne peut percevoir le silence sans le bruit, on ne peut atteindre la sagesse sans la folie ». Au début je rallumais régulièrement la minuterie, puis de temps et temps. Les téléphones sonnaient, c'était l'infirmière. « La colère consume Ça sonnait chez elle mais personne ne répondait. et n'illumine pas. » Ça sonnait dans ma poche, je pris la décision de faire de même. Lamartine. Et régulièrement des pas derrière la porte. J'ai bien pensé sonner comme un fou ou défoncer la porte à coup de pieds mais j'ai eu peur. Folle comme elle était, et il fallait bien l'être pour nous offrir une telle vie, j'ai eu peur qu'elle n'en profite pour me faire interner de force. J'ai mis ma tête dans mes mains, assis presque comme un fœtus et j'ai encore attendu. Ceci a duré peut-être une heure ou plus, difficile a dire. Des pas se promenaient derrière la porte, on sentait une présence. Que faire ? Je suis parti, je devais partir ! J'ai écrit un court message que j'ai glissé sous la porte. Avant de disparaître j'ai récupéré une enveloppe dans ma voiture et j'ai remis l'argent de la veille. Je ne l'ai pas cachetée pour qu'elle ne croit pas que cela soit une quelconque publicité déguisée et je l'ai abandonnée dans sa boite aux lettres. C'est le dernier rapport que j'ai eu avec cette dame qui aurait dû être ma maman. Nelson Mandela m'accompagne dans ma fuite et déclare entre deux souffles « Je ne perds jamais. Soit je gagne, soit j'apprends. »

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